Une chance à saisir

Mudhoney perpétue l’esprit du mouvement grunge. En témoigne un nouvel album, « The Lucky Ones », intense et brûlant.

Jacques Vincent  • 26 juin 2008 abonné·es

Ce n’est sûrement pas en pensant à son propre parcours que Mudhoney a intitulé son nouvel album The Lucky Ones, «les Chanceux». Si ce groupe, dont le nom est emprunté à un film de Russ Meyer, est aujourd’hui le seul rescapé des années grunge, il le doit moins à la chance qu’à une certaine persévérance et à un talent évident.

Moins connu que Pearl Jam ou Soundgarden, sans parler évidemment de Nirvana, Mudhoney a toujours été un peu à part musicalement, dans sa façon de mélanger la dureté des mouvements radicaux des années~1980 à la tradition des garage bands des années~1960. De toute la scène grunge, Mudhoney a été, avec les Screaming Trees de Mark Lannegan, le groupe qui nous a le plus intéressé en racontant une histoire qui nous était proche, celui qui rappelait aussi qu’avant d’être la capitale du grunge, et en plus d’être la ville natale de Jimi Hendrix, Seattle avait aussi été la patrie des Sonics, qui n’avaient pas volé leur nom.

Reste qu’étant de Seattle et faisant partie de l’écurie SubPop, Mudhoney a, comme les autres, profité de la vague qui l’a, dans un premier temps, propulsé sur une major avant de le jeter sur le sable à la fin des années~1990, quand les ventes ont commencé à fléchir. À ce moment-là, il est rentré au bercail, s’est refait une santé en jouant essentiellement dans la région de Seattle, a changé de bassiste et a signé de nouveau sur le label SupPop. Ce qui n’était pas seulement une manière de rentrer dans le rang mais aussi se donner une chance de survivre.

Quand on n’a pas forcément suivi pas à pas tout ce parcours, tomber sur ce disque aujourd’hui peut provoquer une surprise assez ébouriffante. Et réjouissante. Le groupe n’a guère changé avec le temps, et la première impression est qu’il paraît encore capable d’infliger une leçon à de jeunes blancs-becs comme les Black Lips, qui font parler d’eux cette année en marchant sur une partie des mêmes plates-bandes sonores (les références garage), mais ont encore du chemin à faire pour être autre chose qu’une anecdote amusante pendant cinq minutes.

Sous une magnifique pochette digipack aux fulgurances rouges sur fond noir, le rouge stoogien de «Funhouse», The Lucky Ones est l’œuvre d’un groupe au-delà des catégories, un pur disque de rock puissant, bruyant, intense, dur et brûlant. Sa réussite tient à la fois à la qualité des compositions et à un son très compact. Comme si la haute énergie de la musique avait provoqué un effet de fusion, soudant la voix de Mark Arm, qui surfe souvent sur des crêtes d’exaspération, la guitare de Steve Turner, la plupart du temps dédoublée et saturée, la basse de Guy Maddison, qui s’affaire au sous-sol et fait trembler l’édifice, et la batterie de Dan Peters, à la fois très efficace et nettement plus inventif que la moyenne dans ce domaine. The Lucky Ones rappelle que Mudhoney est l’archétype du très bon groupe de série B de tout temps indispensable.

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