Faire barrage aux autoroutes

Malgré les promesses du Grenelle, près de quatre-vingts projets autoroutiers restent en cours en France. Les opposants, très déterminés, viennent de tenir un premier rassemblement national dans les Landes.

Pierre Thiesset  • 17 juillet 2008 abonné·es

« Nina » : Ni ici, ni ailleurs. Derrière ce mot ­d’ordre, des associations en lutte dans toute la France contre l’implantation d’autoroutes – mais aussi de lignes ferroviaires à grande vitesse ou d’aéroports – se sont rassemblées dans les Landes, le 28 juin. La coordination Stop-autoroutes tenait son premier rassemblement national. Des comités de Nantes, Strasbourg, Bordeaux, Lyon, du Sud-Est, des Charentes, du Pays basque ou encore du Marais poitevin se sont déplacés au lieu-dit Les 9 Fontaines, sur la petite commune de Bostens. C’est ici ­qu’avait été lancé l’appel national pour un moratoire autoroutier, en 2006. Après les promesses du Grenelle de l’environnement [^2], la bataille semblait gagnée. Les espoirs ont vite été douchés (voir Politis n° 988).
« Nous avons recensé près de quatre-vingts projets autoroutiers en cours, en comptant les contournements d’agglomération ou les aménagements de routes nationales en 2×2 voies. Si tous ces projets étaient réalisés, la capacité routière en France augmenterait de 40 % ! » C’est Anne Parlange qui le révèle. Membre de l’association Vivre en Trièves, qui se bat contre la mise en place de l’A51 entre Grenoble et Sisteron – un projet vieux de trente ans –, elle a été désignée porte-parole de la coordination Stop-autoroutes.

Illustration - Faire barrage aux autoroutes


Le Collectif « Ni ici, ni ailleurs » proteste contre l’implantation intensive de nouvelles autoroutes. PIERRE THIESSET

Celle-ci cherche à fédérer les luttes locales. « Quand on reste chacun dans notre coin, c’est plus dur de peser, explique Anne Parlange. On doit s’organiser, parce qu’en face, il y a une constance. » Julien Milanesi, doctorant en économie et lui aussi porte-parole de la coordination, est catégorique : « On ne peut exister que si l’on tient un discours global. Nous allons poser la question de l’utilité des auto­routes sur tout le territoire. »
Nombreux sont ceux qui aimeraient faire passer les opposants aux infrastructures pharaoniques pour des égoïstes arc-boutés sur leur lopin de terre. « Henri Emmanuelli, le président du conseil général, nous traite d’obscurantistes qui défendent des intérêts particuliers, disent en riant Yann Surel et Ingrid Hostalier. Selon lui on est contre le développement de la région ! » Ces deux membres d’Alternative régionale Langon Pau (ARLP) habitent dans le centre-ville de Mont-de-Marsan, à plus d’une dizaine de kilomètres du tracé de l’A65. François Deluzan a eu moins de chance. L’autoroute Langon-Pau doit passer dans son jardin : « J’ai pris conscience du problème parce que j’ai été directement touché. Après, je me suis posé des questions, j’ai étudié le dossier, j’ai approfondi. Au final, tu vois que ce projet d’autoroute est injuste, qu’il ne va pas dans le sens de l’intérêt général. Alors tu t’investis dans les associations. » Un combat que François mène depuis quinze ans.

Le lieu-dit Les 9 Fontaines, point de rassemblement du 28 juin, cristallise à lui seul l’absurdité des projets autoroutiers. Classé Natura 2000, il abrite des espèces protégées : écrevisses à pattes blanches, visons d’Europe, loutres, papillons fadets des ­laîches, tortues cistudes. Zone humide alimentée par neuf sources, Les 9 Fontaines ont toujours été un lieu de vie et de rassemblement, que les habitants ont jalousement préservé. Béatrice Paillangue, habitante de Bostens, s’inquiète : « L’autoroute va passer à 400 mètres. Les sources naturelles vont être polluées. Tout le patrimoine et la ­culture vont disparaître. »

Tant pis, l’A65 doit passer. Puisque, selon Alain Rousset, président PS du conseil régional, ce chantier est indispensable « à l’existence même de la Région [^3] » . Ce que l’ARLP et la fédération des Sociétés pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (Sepanso) réfutent. Les deux associations ont déconstruit point par point l’argumentaire des promoteurs de l’A65. « Le coût environnemental de ces infra­structures est énorme, dénonce Julien Milanesi. Mais ce n’est pas tout. ­L’équilibre financier de ­l’auto­route se fonde sur des prévisions opti­mistes. Pour que l’infra­structure soit rentabilisée, le trafic doit être multiplié par deux. Or, avec la hausse des prix de l’essence, on observe une tendance de baisse du trafic. Les dettes retomberont sur les collectivités. En outre, avec un péage de plus de 16 euros – pour gagner un quart d’heure –, ­l’auto­route est réservée aux gens qui ont les moyens. On équipe pour les plus nantis plutôt que de ­trouver des solutions pour tout le monde. »

Quant aux prétendues retombées économiques que doivent engendrer les 150 km de bitume : « Des arguments qu’on ressert ici comme partout ailleurs, s’insurge Noël Collomb, vice-président de la Sauvegarde des coteaux du Lyonnais. Alors que tous les économistes des transports le disent : quand une autoroute relie deux agglomérations, la plus forte se développe au détriment de l’autre. »

L’expertise des associations est d’autant plus remarquable que les études et les décisions prises par les pouvoirs économico-politiques sont réalisées dans l’opacité. « On est face à un véritable déni de démocratie, s’indigne Julien Milanesi. Les élus n’ont pas été informés de ­l’analyse financière du projet. Il n’y a pas eu de débat public. Borloo et la Région font de la rétention d’informations. » François Deluzan témoigne : « Quand elles existent, les réunions publiques n’évoquent que trois questions : Où ? Quand ? Comment ? Le pourquoi n’est jamais à l’ordre du jour. »

« Là où l’autoroute passe, la démocratie trépasse, affirme Simon Charbonneau, spécialiste de droit à l’environnement. Dès les années 1980, tous les recours, quels que soient les moyens, sont systématiquement rejetés. L’utilité publique est toujours déclarée, même quand elle ne repose sur aucun fondement, même quand les ­insuffisances d’étude d’impact sont démontrées. La haute fonction publique est toute-puissante. »
Le rouleau compresseur est en marche. Les bétonneuses sont prêtes à prendre du service. Mais les opposants ne s’avouent pas vaincus. Ils continuent à remettre en cause la centralité de la voiture, à porter une réflexion de fond sur l’aménagement du territoire et à affirmer la nécessité d’une relocalisation de l’économie. Les « planteurs volontaires » sont là pour replanter sur chaque parcelle défrichée. Les ­5 000 membres de la Sauvegarde des coteaux du Lyonnais diffusent toujours leur journal annuel dans 37 500 boîtes aux lettres. Les opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (44) ont encore réuni 3 000 personnes lors de leur dernière manifestation. La pétition lancée par l’association « Contre le tunnel inutile dans les vallées d’ailleurs et du Lavedan [^4] » a recueilli 10 000 signatures.

« Pour se justifier, sur chaque projet, l’État a besoin de dire : “Vous verrez, cette autoroute c’est le chaînon manquant, elle est indispensable, ce sera la dernière”, témoigne Michel Dubromel, pilote du réseau transports et mobilité durable à France nature environnement. Il a compris que ses projets sont loin de faire consensus. » Il serait temps, comme le fait remarquer Simon Charbonneau : « Il y a trente ans, remettre en cause le développement technico-économique, c’était tout à fait nouveau. Maintenant, ça devient tellement évident. Après le discours radieux sur la croissance et le développement, on va entrer dans une période ­terrible. Seuls les imbéciles continuent à croire que la science va trouver les solutions miracles. »

[^2]: « Nous n’augmenterons plus de façon significative les capacités routières et aéroportuaires », a déclaré Jean-Louis Borloo en octobre 2007.

[^3]: « A65 Langon-Pau : les élus s’impatientent, les opposants font feu de tout bois », AFP, 20 avril.

[^4]: 42 km de long sous le Vignemale, dans les Pyrénées centrales.

Écologie
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