Les habits usés du néolibéralisme

Geneviève Azam  • 3 juillet 2008 abonné·es

On nous avait promis une mondialisation heureuse, l’argument de vente essentiel étant le bien-être du consommateur mondial, épicentre de la théorie économique du bien-être. Il serait obtenu par la baisse des prix et la convergence des revenus entre pays riches et pays pauvres, grâce à la concurrence mondiale dans un marché libéré et globalisé. La hausse des prix des produits de base, avec les tendances inflationnistes qu’elle comporte, sème l’émoi dans le gotha de la pensée économique, alors que les signes de rétraction de la croissance sont là. « Globalisation, le pire est à venir » , tel est le cri d’alarme de Patrick Artus, directeur de la recherche de Natixis, membre du Conseil d’analyse économique, et de la journaliste Marie-Paule Virard [^2].
Apparemment, rien ne manque, dans le livre qu’ils cosignent, de l’arsenal des critiques de la globalisation : inégalités croissantes, gaspillage des ressources, dérives de la finance, paradis fiscaux, course insensée aux profits, nécessaire équité et transparence, risque d’éclatement de l’Europe. Mais attention, il ne s’agit pas de « remettre en cause la globalisation ni de plaider pour un improbable retour en arrière ». Tout changer pour que rien ne change selon l’heureuse formule de Lampedusa dans le Guépard, à propos des changements que doit accepter l’aristocratie italienne pour que rien ne change. Tout dire pour ne rien dire et ainsi désamorcer la critique.

Car le problème réside bien, selon Patrick Artus et Marie-Paul Virard, dans le bouleversement des anciennes hiérarchies. La globalisation fonctionnait très bien tant que les pays du Sud, fournisseurs de main-d’œuvre et de ressources à bon marché, et en particulier la Chine, rebaptisée pour l’occasion « l’Empire du Milieu », restaient sagement à leur place. Mais, selon les auteurs, c’est le déplacement du centre de gravité du monde –?qui affaiblit les pays riches et provoque des déficits extérieurs?– qui est responsable des excès de liquidité mondiale, « des folies de la planète finance » , de la hausse des prix des matières premières et des nuisances environnementales. Et « le scénario catastrophe », c’est le processus de convergence des revenus qui conduit à l’envolée de la demande des ressources rares et de la pollution. C’est pourtant bien ce processus de convergence qui justifiait les politiques néolibérales et renvoyait à l’égoïsme et à l’archaïsme tous ceux qui en dénonçaient les effets ! Si nous pensons que l’extension du modèle occidental à toute la planète est non seulement impossible mais non souhaitable, ce n’est pas l’égoïsme des nouveaux venus au banquet qu’il s’agit de fustiger en priorité, mais l’égoïsme des classes possédantes, qui, en Chine ou ailleurs, ont oublié depuis bien longtemps ce que pouvait être un bien public.

Nous pourrions en effet nous réjouir de lire que le pétrole, l’eau, l’air, l’alimentation, la monnaie et la justice sociale, sont des biens publics mondiaux qui nécessitent une nouvelle coopération internationale. Mais c’est pour mieux appuyer la seule proposition du livre, une sorte de gouvernement mondial des « acteurs de l’économie-monde », capable de lutter contre les égoïsmes (en particulier ceux des nouveaux venus) et contre toutes les formes d’intervention particulière des États. L’exemple choc est le « nationalisme énergétique » qui fait qu’en 2008, les firmes pétrolières multinationales (acteurs essentiels de l’économie-monde), ne contrôlent que 15 % des réserves prouvées de pétrole quand le reste est contrôlé par les firmes publiques des pays producteurs. Et les plus visés sont le Venezuela et la Bolivie, qui bloquent l’offre mondiale de ressources !

L’effondrement des politiques libérales classiques avec la crise de 1929 a été un moment fondateur pour un renouveau libéral d’où seront issus les courants du néolibéralisme. Au-delà de leurs divergences, ces derniers se sont accordés pour dire que la concurrence seule peut assurer la rationalité économique. L’État doit imposer la concurrence là où elle ne fonctionne pas d’elle-même, car elle assure la formation des prix qui règlent les choix de la société. Et rien ne va plus dans la planète néolibérale quand les prix sont en partie soumis aux dérives de la finance. Mais l’État ne doit pas être un régulateur du marché, car l’excès de gouvernement est porteur d’irrationalité, c’est la liberté de marché qui doit être le principe organisateur de l’État.
Les gouvernements n’ont pas à intervenir sur les effets destructeurs du marché, ils ont à mettre en œuvre une politique de société pour que les mécanismes concurrentiels jouent partout et dans les moindres interstices le rôle de régulateur. C’est à leur manière ce qu’appellent de leurs vœux nos deux auteurs qui concluent le livre ainsi : « La “civilisation” – mot fétiche du moment – de la globalisation reste à inventer. »

[^2]: Globalisation, le pire est à venir, Patrick Artus et Marie-Paule Virard, La Découverte.

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