« Une entreprise comme les autres »

Historien
des médias, Christian Delporte* revient sur les mesures préparant
la réforme de l’audiovisuel public.
Et analyse
ce retour
au temps de l’ORTF.

Jean-Claude Renard  • 3 juillet 2008 abonné·es

La nomination du PDG de France Télévisions par l’exécutif est-elle un retour au passé ?

Christian Delporte : D’abord, ne jouons pas les hypocrites. Avec la composition du CSA, il va de soi que le choix du président de France Télévisions était largement inspiré par le pouvoir. Cela dit, on revient aujourd’hui à un système qui rappelle le temps de l’ORTF, où le directeur général était nommé en Conseil des ministres. Et ce n’est pas très bon signe. Car si le CSA n’était pas satisfaisant, l’idée même d’une instance indépendante, comme il en existe dans toutes les grandes démocraties, allait dans le bon sens. On bloque ici un processus, ce qui nous fait revenir près de trente ans en arrière.

Quelles sont les différences avec le passé ?

Au début des années 1960, les responsables du journal télévisé venaient chercher leurs ordres tous les matins au ministère de l’Information. À cela s’ajoutaient les coups de fil des autres ministres. Avec l’ORTF, en 1964, c’est devenu plus subtil. Officiellement, la télévision était indépendante, mais, en plaçant des hommes sûrs à la tête des chaînes, le pouvoir assurait un verrouillage administratif implacable. Qu’un journaliste se permette une critique à l’antenne, et il se retrouvait au placard. C’est vers cela qu’on retourne avec un président de la République devenu « le premier téléspectateur de France », comme on le disait du général de Gaulle.
Actuellement, le PDG de France Télévisions est nommé par le CSA. Il a un mandat qu’il accomplit, théoriquement au moins, jusqu’à son terme. Il peut subir des pressions du pouvoir, mais il a des moyens de résister. Demain, il sera à sa merci. Aujourd’hui, le CSA le choisit sur un projet. Bientôt, il dépendra exclusivement du bon vouloir du chef de l’État, y compris pour son budget.

Comment jugez-vous ce retour en arrière et les manières de procéder ?

La loi du 29 juillet 1982 sur le secteur public affirmait : « La communication audiovisuelle est libre. » Cela s’est traduit par la création d’une instance indépendante, la Haute Autorité, chargée de nommer les responsables du service public, et dont le CSA est aujourd’hui l’héritier. Mais ni Mitterrand ni Chirac n’ont voulu aller jusqu’au bout de la logique d’indépendance. Ils ont gardé la main sur la nomination des membres de ces instances. Le cordon n’a jamais été totalement coupé entre le pouvoir et l’audiovisuel public. Si le CSA était devenu une grande institution démocratique, reconnue comme telle par l’opinion, jamais Sarkozy n’aurait osé revenir sur le mode de désignation du patron de la télévision publique ! Mais ce qui est frappant, c’est le discours du président de la République, en rupture avec celui du général de Gaulle. Pour lui, la télévision devait lui obéir parce qu’elle était un service de l’État, et ses responsables de simples fonctionnaires. Pour Sarkozy, la télévision publique est une entreprise comme les autres, qui dépend d’un « actionnaire » unique – lui-même –, et qui doit se soumettre selon le principe : « Qui paie décide. » Mais, alors, que fera l’actionnaire si l’entreprise ne dégage pas de « dividendes » ?

Comment envisagez-vous l’avenir du service public ?

La solution pour sauver l’audiovisuel public aurait été une augmentation de la redevance pour être au niveau de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne. Ce n’est pas le cas. À la place, on crée de nouvelles taxes qui se répercuteront sur le consommateur sans sauver le service public ! En somme, dans un premier temps, c’est la suppression de la publicité. Dans un deuxième temps, on nous dira que ça ne marche pas. Dans un troisième temps, on vendra. Sans doute pas tout, car le pouvoir se souviendra qu’il a besoin de relais. Mais on privatisera telle ou telle chaîne. Qui est assez naïf pour croire que France Télévisions fera vivre de grandes chaînes avec un budget croupion ?

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