Pour 14 milliards de balles

Une enquête de Paul Moreira et David André sur le trafic
et le commerce des armes à travers le monde.

Jean-Claude Renard  • 28 août 2008 abonné·es

L’offre est alléchante : sur une chaîne américaine de téléachat, deux animateurs s’enthousiasment pour un produit d’exception : le AK 47, pour moins de cinq cents dollars. À commander sans attendre. Journalistes d’investigation, Paul Moreira et David André ouvrent là une porte sur une face obscure de la mondialisation : le commerce des armes. Et du commerce au trafic, il n’y a pas lerche. C’est là aussi un aspect démontré par les réalisateurs. Mais avant tout tombent les chiffres. Éloquents. 700 millions d’armes légères sont aujourd’hui en circulation. 14 milliards de balles sont produites chaque année. Soit deux balles pour chaque être humain. Pas moins. Et, au bas mot, ce commerce rapporte 1 200 milliards de dollars par an. Les États-Unis se taillent la part belle dans l’exportation, avec 55 % du marché. L’Angleterre est derrière, avec 17 %, suivie de la Russie, 8 %, et de la France, 6 %. Depuis quelques années, le Brésil, la Chine et le Japon se sont inscrits en nouveaux acteurs de cette prospérité. La production est exponentielle, dans un commerce opaque qui brandit son bras d’honneur à toutes considérations morales. Parce que les armes équipent les milices, permettent les viols (selon l’idée « si j’ai la kalachnikov, j’ai la femme »), les crimes de guerre, les soumissions de sociétés entières. Entraînant avec elles les épidémies, des conditions sanitaires déplorables, toutes les conséquences de l’insécurité permanente et la multiplication de groupes armés.

L’enquête des investigateurs (non sans risques) dérange. Forcément. Ainsi, dans les dernières années, la France a armé le gouvernement de la République de Guinée, en dépit de massacres des populations civiles, comme cela s’est produit à l’hiver 2007, au cours de manifestations pacifiques virées en fusillades arbitraires. À ce commerce, pas de réponse de la part du Quai d’Orsay. Ben dame, pas facile de justifier les cargaisons de balles qui filent de France en Afrique. Autre embarras des commerçants : d’où viennent les milliers d’armes circulant au Congo, malgré l’embargo prononcé et quatre millions de morts en dix ans ?

Pour mener leur enquête et leur documentaire, les réalisateurs se sont calés sur les traces d’un réseau citoyen, Control Arms, qui souligne, pointe du doigt les agents de ce merdier. Derrière, et même en avant, les militants d’Amnesty International. Qui travaillent au cordeau, remontent aux sources, aux lieux de fabrication, pistent les individus, les bons de livraison. L’organisation a fait du commerce des armes légères l’une de ses priorités, en relevant les indices sur toutes les zones de conflits. C’est le cas pour un lance-grenades chinois au Darfour, exporté après l’entrée en vigueur de l’embargo sur l’exportation des armes. L’indice majeur : le numéro de série des flingues, la confrontation entre les images officielles et celles puisées sur le terrain. Les images officielles sont tirées du Milipol, cet ahurissant salon parisien des armes légères où s’exposent une centaine de pays, grand marché officiel dont les clients se partagent entre forces de police et armées régulières. Un marché légal et (en apparence) contrôlé, où tous les arguments sont bons pour vendre.
Au bout de ce travail des réalisateurs, ou plutôt accompagnant cette enquête, le traité international sur le contrôle du commerce des armes pour justement empêcher les régimes dictatoriaux de tirer sur leurs populations. À ce jour, 153 pays ont signé. Une poignée s’abstient (la Chine et l’Irak, notamment) et un seul s’y oppose fermement : les États-Unis.

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