La douche froide

La rentrée en fac est marquée par 900 suppressions de postes et une dégradation des conditions de vie des étudiants. Les syndicats, ainsi que « Sauvons la recherche », qui ouvre son université d’automne, protestent.

Ingrid Merckx  • 2 octobre 2008 abonné·es

L’université embraie après l’école. Les étudiants font leur rentrée dans des conditions similaires à celles des élèves du primaire et du secondaire. « Cette rentrée 2008 est la rentrée d’une université qui change, et en premier lieu “pour ses étudiants” » , a déclaré Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, lors de sa conférence de presse de rentrée. Premier changement : 900 postes sont supprimés, 450 dans la recherche, autant dans l’enseignement supérieur. Une première dans le secteur, qui laisse enseignants, chercheurs et étudiants perplexes. Comment lutter contre l’échec en aggravant le sous-encadrement ? Comment améliorer l’état de la recherche avec moins d’enseignants-chercheurs ?
Dans le budget 2009, il manque plus d’un milliard d’euros sur ce qui était prévu. Les premières conséquences de la loi LRU sur l’autonomie des universités se font sentir. Les « Plan campus » et « Plan licence » que vient de lancer Valérie Pécresse sont contestés. L’exercice démocratique au sein des instances universitaires est mis à mal. De sérieux doutes pèsent sur l’autonomie de la recherche et la formation des enseignants. Le ministère reste sourd aux propositions des syndicats. Et, pour couronner le tout, les conditions de vie des étudiants connaissent une nette dégradation. 2008, *année de quel changement ?

Illustration - La douche froide

Le directeur du Crous d’Aix-en-Provence, Vincent Labouret, et la ministre de l’Enseignement, Valérie Pécresse.
Poujoulat/AFP

« C’est la douche froide,* résume Jean-Baptiste Prévost, président de l’Unef, première organisation étudiante. Valérie Pécresse avait fait des promesses concernant l’amélioration des conditions de vie des étudiants. Mais maintenant que la LRU est passée et que la rigueur budgétaire frappe aussi son ministère, on ne voit rien venir. La seule disposition qu’elle ait prise réformant le prêt étudiant est une provocation ! » Début septembre, la ministre a remplacé le système de prêt à taux zéro proposé par les Crous par un système de prêt avec des taux d’intérêt fixés par des banques. « 3 % des étudiants ont recours à une demande de prêts, rappelle l’Unef. En effet, peu d’étudiants souhaitent débuter leurs études en étant déjà “dans le rouge”. […] Valérie Pécresse propose désormais d’ajouter l’endettement aux difficultés d’insertion professionnelle des jeunes diplômés. »
En juillet 2007, le diagnostic sur la situation sociale des étudiants semblait partagé. Un an plus tard, 7 % des étudiants voient leur situation améliorée par des mesures qui restent très en deçà des besoins. « 93 % des étudiants sont perdants » , calcule l’Unef. Qui cite des chiffres inquiétants : une hausse de 5,9 % du coût mensuel de la vie étudiante due à une hausse des loyers d’emménagement de 8,3 % à Paris et 4,3 % en province, une augmentation des produits alimentaires de 6,9 % et des droits d’inscription de 4,3 %, tandis que les bourses n’ont augmenté que de 2,5 %. L’organisation étudiante réclame donc la mise en chantier d’un « plan d’action sociale étudiante » et lance une campagne pour des mesures d’urgence. Au même moment, le ministère publie un rapport rédigé par Denis Lambert, directeur du Crous de Lyon, qui préconise le remplacement des Crous par des « agences » devant chercher des ressources propres et se mettre au service des objectifs d’attractivité des universités. Un projet en totale contradiction avec les missions sociales des Crous. D’où son surnom : « LRU des Crous ».

« La politique d’enseignement n’est plus une politique nationale mais une politique par établissement » , déplore également Jean-Baptiste Prévost. Sans surprise, puisque c’est le principe même de la loi du 10 août 2007 « relative aux libertés et responsabilités des universités » (LRU). « Nous sommes extrêmement secoués par la mise en concurrence des établissements » , s’indigne Jean Fabbri, secrétaire général du Syndicat national des enseignants du supérieur (Snesup). Le 25 septembre, Valérie Pécresse a choisi de distinguer seize établissements « exemplaires » (Aix-Marseille-I, II, III, Bordeaux-I, Dijon, Grenoble-I, La Rochelle, Le Havre, Lille-I, Metz, Nancy-I, Paris-VI et XII, Pau, Poitiers et Toulouse-II), dont les projets sont conformes à son cahier des charges. Ceux-ci verront leur enveloppe annuelle augmentée. D’autres seront pénalisés.
« Cela revient à démolir le service public d’enseignement » , résume Jean Fabbri. Il redoute que certains établissements se resserrent sur quelques premières années d’enseignements, à la façon des IUT ou des BTS, cependant que d’autres deviendront des pôles spécialisés. « Le pouvoir politique organise une gestion technocratique de quelques créneaux scientifiques à rentabilité immédiate » , accuse-t-il. Et réduit le champ de la recherche. « Les laboratoires vont être gérés directement par les universités , explique aussi Bertrand Monthubert, président de Sauvons la recherche. Il n’y aura plus de coordination nationale de la recherche. Ou alors au profit du ministère. Cela va se traduire par un recentrage des disciplines. » « Quelle liberté pour la recherche ? » sera la première question soulevée par l’université d’automne organisée par cette association à Toulouse du 3 au 5 octobre
[[Sauvons la recherche, université d’automne,
du 3 au 5 octobre à l’Hôtel de Région : conseil régional Midi-Pyrénées, 22, bd du Maréchal-Juin, 31406 Toulouse. Contact : <www.sauvonlarecherche.fr >.ou Bérangère Dupont, 06 10 14 14 08.]].

Autre question centrale programmée par cette rencontre : « Emploi scientifique, précarité : quelle évolution, quelles conséquences ? ». En sus des 900 suppressions de postes, Valérie Pécresse a annoncé, le 25 septembre, la suppression de 225 allocations de recherche. « Le taux d’encadrement diminue, les perspectives d’emploi sont mauvaises, les enseignants-chercheurs doivent rogner sur leurs travaux de recherche pour enseigner, la ministre va dans le sens contraire de ce qu’on réclamait », estime Bertrand Monthubert.
« Le plan licence prenait une bonne direction, reconnaît Jean-Baptiste Prévost, puisqu’il imputait la responsabilité du taux d’échec aux dysfonctionnements du système et non aux étudiants. Mais il devait passer par un meilleur suivi individuel et une multiplication des cours en petits effectifs : comment le mettre en place avec moins d’enseignants ? » Il faudrait, selon Bertrand Monthubert, créer près de 5 000 postes par an. « Cela coûterait environ 200 millions d’euros. Un investissement raisonnable en regard du milliard annoncé pour 2009 et de la triche organisée sur le budget. » Celui-ci se concentre sur le crédit d’impôt recherche (CIR), qui consiste en des allégements d’impôts pour des entreprises, et le plan Campus, qui organise un partenariat public-privé pour valoriser le patrimoine immobilier des universités par le biais d’argent donné à des fondations. « De nombreuses dépenses sont maquillées en dépenses de recherche, alerte Bertrand Monthubert. Il n’y a aucun contrôle sur l’argent versé aux entreprises. Or, celles-ci ne comptent que 13 % de doctorants dans leur personnel. »

Des actions de protestation s’organisent, comme un boycott des évaluations de l’Agence nationale de recherche (ANR) et de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement (Aeres). Et des mobilisations aux côtés de ceux qui défendent les services publics. Prochain rendez-vous : le 7 octobre, pour la « Journée mondiale pour un travail décent ». De son côté, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) a voté une motion dénonçant les « méthodes inacceptables de négociation du gouvernement. Sur chaque dossier, il agit dans la précipitation sans prendre le temps de la concertation avec les organisations représentatives des personnels et des étudiants, ni avec les instances consultatives ou scientifiques collégiales existantes » . « En cette rentrée, avertit Jean-Baptiste Prévost, la vraie inconnue concerne la capacité de la ministre à entendre nos inquiétudes. » Et à prévenir un mouvement d’ampleur.

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