Le même langage

La Fondation Cartier-Bresson propose une exposition associant
les images de son fondateur et celles de l’Américain Walker Evans. Soit deux écritures qui se répondent, comme en écho.

Jean-Claude Renard  • 2 octobre 2008 abonné·es

Pour la petite histoire, Walker Evans (1903-1975), féru de Flaubert et de Joyce, débarquait à Paris à l’orée des années 1920 avec l’envie d’être écrivain. À son retour au pays natal, il se décide pour la photographie. Destins croisés. Passionné de littérature, de peinture et de dessin, tenté par le cinéma, Henri Cartier-Bresson (1908-2004) séjourne à New York en 1935. Boîte noire en mains. Destins conjugués. Evans, Cartier-Bresson, deux photographes. Avec un œil critique sur le monde. Tous deux sont exposés à New York au cours de ces années 1930. Entre les deux hommes, un respect mutuel. La Fondation Henri Cartier-Bresson, à Paris, propose un face-à-face, avec l’Amérique pour passion commune. Près de quatre-vingt-dix images sont accrochées, puisées dans les tiroirs des institutions américaines, dans les collections privées et celles de la Fondation HCB. Des images saisies entre 1929 et 1947, dans le sud des États-Unis et les grandes villes (New York, Washington et Chicago).
L’association affichée ici n’est pas qu’une affaire de respect mutuel, de concordance de temps sur les mêmes lieux. Evans a été le moteur de Cartier-Bresson, lequel reconnaissait : « Sans le défi que représentait l’œuvre de Walker Evans, je ne pense pas que je serais resté photographe. » Evans en point de mire, il existe pires références. Un point de mire qui embrasse l’Amérique. Sur l’épreuve gélatino-argentique, Evans décline les visages émaciés de fermiers, l’étirement de rues dans un quartier noir, les paysages urbains, la terrasse d’une maison en bois et, comme une mise en abyme, la devanture d’un studio de photo. Façon géomètre, Cartier-Bresson négocie avec le paysage. La verticalité des tours à New York, une carcasse de voiture écrasée par l’étendue d’une plaine, une farandole de gentlemen chapeautés, l’arabesque que dessine sur le trottoir le sang coulé d’un homme mort, replié contre une porte, au seuil du cadre.

Evans et HCB, en croqueurs de surfaces, flirtent avec les lignes, l’ombre et la lumière, HCB s’imposant une image structurée, poussant les contrastes, appuyant davantage sur le trait, les ruptures et disproportions. Les différences restent subtiles. De l’un à l’autre, en symbiose, on observe une attirance pour les gens de la rue. Les ouvriers, les clochards écrasés de sommeil et de bitures, les mendiants désespérés, les réfugiés et les Noirs laissés pour compte, mais aussi les bourgeois en goguette. Et si la photographie est une écriture, la leur est marquée par une signalétique prégnante, éclaboussant l’objectif. Chez Evans, un passage piéton et ses traits parallèles, la publicité Coca-Cola au-dessus d’une boutique, un alignement de guimbardes le long d’une avenue bordée d’enseignes, la devanture d’une épicerie-poissonnerie gavée de lettres, de mots, de dessins. Chez Cartier-Bresson, la vitrine d’un Famous Delicatessen, « Money Order » s’affichant sur le panneau d’un homme-sandwich. Quand les lettres ne délimitent pas les bords du cadre, un autre ingrédient s’invite dans le texte. Ici un poteau, l’angle d’un bâtiment, le dossier d’un banc, là un rail de métro aérien, l’encadrement d’une porte, la longueur d’un comptoir, le dégradé d’un escalier. Tout un langage.

Culture
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