L’horrible doute

Denis Sieffert  • 30 octobre 2008 abonné·es

À une semaine de l’échéance, faut-il tenir pour acquise la victoire de Barack Obama ? Si l’on devait se fier aux sondages, le doute ne serait guère permis. Et pourtant, quelque chose d’obscur nous invite encore à l’incrédulité. C’est cette part d’irrationnel et d’inavouable qui gît au fond de l’inconscient humain et que l’on nomme le racisme. Si Obama perd, il n’y aura pas d’autre explication possible que la couleur de sa peau. Car sa campagne a été aussi remarquable que celle de McCain a été calamiteuse. Depuis le début, tout ou presque a souri au candidat démocrate, jusqu’au contexte d’une crise venue miner le peu de crédibilité économique qui restait à son adversaire. Comme si le talent et le charisme d’Obama avaient eu besoin de cet ultime coup de pouce du destin qui a précipité son rival dans un profond désarroi idéologique. McCain s’identifiait déjà au passé en raison de son âge et de ses liens avec le président sortant ; voilà de surcroît que le système qu’il incarne fait faillite au plus mauvais moment pour lui. D’un côté, toutes les vertus de la jeunesse, toutes les espérances de changement, l’éclat de la nouveauté ; de l’autre, le poids des ans et un héritage fait de mensonges, de guerres et d’échecs. Au pays et à l’époque de la communication triomphante, on ne pouvait imaginer opposition plus déséquilibrée. Pourtant, nous attendrons prudemment le 5 novembre au matin pour prendre acte d’une victoire qui, si elle intervenait, aurait un sens bien au-delà de la politique.

Car lorsque nous évoquons le péril racial qui pourrait renverser les pronostics, il ne s’agit pas seulement du préjugé qui briserait l’ambition du candidat Obama, il s’agit aussi d’une vision du monde qui imprègne encore profondément une partie de l’Amérique blanche. Celle du choc des civilisations. Celle qui ne croit jamais dans l’influence de l’environnement social ni aux vertus du dialogue, et qui fige les représentations ; celle qui n’a aucune curiosité pour le reste de la planète, mais une brutale hostilité à l’encontre de tout ce qui ne lui ressemble pas. C’est tout cela qui est en jeu dans l’élection du 4 novembre. Obama n’est donc pas seulement porteur de son programme, mais aussi de son histoire personnelle et du sens que celle-ci peut avoir pour la population américaine. Certes, son discours n’est pas exempt d’un certain nationalisme. Mais il s’agit de cet orgueil d’enfant du melting-pot qui lui faisait dire dans son fameux discours de Philadelphie, le 27 mars dernier : « Mon histoire est inconcevable dans aucun autre pays. » Cette fierté américaine-là est plus rassurante que le nationalisme qui résulte du complexe messianique borné de George W. Bush. Elle nous permet d’espérer que « le fils d’un Noir du Kenya et d’une Blanche du Kansas » , comme il aime à se définir, ne portera pas sur les événements et les hommes le même regard que son prédécesseur enraciné depuis des générations dans un sol texan gorgé de pétrole et de violence.
Il serait toutefois injuste et dangereux d’occulter le discours d’Obama au profit d’un récit exclusif de son aventure familiale. Ne serait-ce que parce que ce discours revendique sa double origine. On ne choisit pas son ascendance, mais on choisit ou non de la revendiquer. Et cela, Obama le fait plutôt bien, sans honte ni ostentation.

Il a fait de sa condition de métis un argument de réconciliation. Mais aussi parce que la partie sociale de son programme nous semble en cohérence avec cette revendication. Même si elle reste très modérée. En retrait sur celui d’Hillary Clinton pour l’assurance santé, notamment, mais tellement moins injuste que celle des Républicains. En cohérence aussi, ses positions sociétales pour le droit à l’avortement ou en faveur de l’« union civile » pour les homosexuels (qui n’est cependant pas le mariage). Toutes questions qui font clivage dans la société américaine, plus violemment encore que dans la société française. En cohérence, enfin, sa volonté de sortir les États-Unis du bourbier irakien et de dialoguer avec l’Iran, et sa conscience des enjeux écologiques. Avec Obama, les raisons d’espérer un monde un peu moins stupide sont donc nombreuses. Mais gare aussi aux illusions !

L’homme a déjà prouvé qu’il savait prestement retourner sa veste. Sa volte-face sur le conflit israélo-palestinien est un signe. Son discours sur le terrorisme montre qu’il y a quelques tendances lourdes dans la politique américaine qu’on ne saurait contrarier. Il est vrai que la campagne électorale n’est jamais le meilleur moment pour les audaces. Quoi qu’il en soit, il faut bien sûr souhaiter l’élection de Barack Obama. Mais cela autant pour ce qu’il représente aux yeux de cette partie des États-Unis qui retirera une légitime fierté de ce choix que pour son programme. S’il l’emporte, il faudra alors que la France qui a voté Sarkozy, et qui est tellement « obamaniaque », se penche sur elle-même. Si, en revanche, par un retour de flamme raciste, McCain est élu, il n’y aura plus ni rêve ni illusions.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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