De quels droits?/La riposte européenne

Christine Tréguier  • 14 mai 2009 abonné·es

Échaudé par le rejet quelque peu inattendu du 9 avril à l’Assemblée nationale, le gouvernement avait mis les bouchées doubles pour faire passer son projet de loi Création et Internet. Sermonnés par Sarkozy, qui en fait une affaire personnelle, et par Jean-François Copé, accusé de ne pas avoir suffisamment mobilisé ses troupes, les députés UMP ont été priés de voter droit. Une bonne centaine d’entre eux étaient donc présents au Palais-Bourbon le 4 mai pour la seconde lecture. Pour éviter toute dissonance lors de la discussion générale, l’UMP a soigneusement trié ses orateurs, évacuant ainsi les anti-Hadopi notoires comme Lionel Tardy, Christian Vanneste ou Alain Suguenot. Le lendemain, le bruit a même couru que le gouvernement pourrait, pour gagner du temps, demander le recours à un vote bloqué, sans examen des amendements, en usant de l’article 44.3. Il a finalement préféré reculer la date du vote définitif pour laisser place à la discussion. Ou plus exactement à un dialogue de sourds entre les opposants et une majorité fermement décidée à ne pas changer une virgule au texte proposé. Dans un hémicycle plutôt clairsemé, les opposants ont vaillamment défendu leurs amendements, ne recevant en réponse, la plupart du temps, qu’un laconique « avis défavorable » de la part du rapporteur et de la ministre, suivi d’un « l’amendement est rejeté » tombant du perchoir. Le texte devrait donc être adopté sans faire un pli les 12 et 14 mai par l’Assemblée et le Sénat.

Mais cette loi sera-t-elle applicable ? Déjà, elle menace de ne pas être conforme à la législation européenne. En effet, le 6 mai, un vent anti-Hadopi a soufflé du Parlement européen, réuni pour la seconde lecture d’un ensemble de directives dites Paquet télécoms. Ce jour-là, les eurodéputés ont à nouveau voté à une très forte majorité (407 voix contre 57) le fameux amendement 138 (renommé 46). Plébiscité en octobre dernier, avant d’être retiré par le Conseil sous la pression de la France, il stipule qu’ « aucune restriction ne peut être imposée aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux sans décision préalable des autorités judiciaires » . Les députés ont réaffirmé la nécessité de la protection du juge, passant à la trappe un amendement de compromis âprement négocié entre Conseil, Commission et Parlement, qui proposait, lui, de s’en remettre à un « tribunal indépendant et impartial » . Pour Guy Bono, député PSE coauteur du 138 avec Cohn-Bendit, « c’est une claque pour Sarkozy » . L’Hadopi, en tant qu’autorité administrative, ne pourrait sur simple présomption suspendre l’accès des internautes. La ministre de la Culture a immédiatement démenti, affirmant que l’accès à Internet n’est pas un droit fondamental. Mais si l’amendement Bono n’a aucun impact sur l’Hadopi, pourquoi la France fait-elle, depuis des mois, des pieds et des mains pour obtenir sa suppression ?
Il appartient maintenant au Conseil de l’Europe, qui doit se réunir le 12 juin, de valider ou non le Paquet télécoms en l’état. S’il le fait, les fournisseurs d’accès pourraient bien disposer d’un argument de choix pour ne pas obtempérer aux injonctions de l’Hadopi, et les internautes d’un sérieux moyen de défense.

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