« L’avenir de l’humanité est en jeu »

Représentant du président de l’assemblée générale des Nations unies auprès de la commission Stiglitz, François Houtart* explique les enjeux de la conférence de l’ONU sur la crise financière.

Thierry Brun  • 25 juin 2009 abonné·es

Politis : On sait peu que la conférence des Nations unies sur la crise économique et financière mondiale,
qui s’achève le 26 juin, étudie les propositions de la commission Stiglitz « pour la réforme du système financier et monétaire international » . Pourquoi ?

François Houtart : Le manque d’informations est probablement dû à plusieurs causes : le peu d’enthousiasme des organes des Nations unies pour l’initiative, notamment du secrétariat général ; l’inertie des pays membres ; le fait que les G8 et les G20 ont plus de visibilité médiatique qu’une conférence onusienne.

La conférence a-t-elle été préparée dans de bonnes conditions ?

Le boycottage a été manifeste dès le début, surtout de la part des États-Unis et probablement de certains pays européens, qui ont décidé de ne pas envoyer les chefs d’État ou de gouvernement. Ces pays européens ont fait pression sur les autres pays de leur zone d’influence pour qu’ils fassent de même. Certains pays du G20, fiers d’être reconnus, comme le Brésil, ont aussi manifesté dès le début leur scepticisme. En revanche, la Chine a appuyé cette conférence des Nations unies qui porte sur la crise économique et financière mondiale, et sur son incidence sur le développement.

Quels en sont les enjeux ? Et que pensez-vous de l’implication du mouvement altermondialiste dans cette démarche ?

D’abord, la conférence a bien lieu. Sachez qu’elle était prévue début juin et qu’elle a été reportée à ces dates du 24 au 26 juin. Les enjeux sont les moyens de sortir de la crise financière et au-delà : effets sociaux, crise alimentaire, énergétique, climatique. Il y va de l’avenir de l’humanité sur la planète. Les principales contradictions sont entre les pays du Nord, qui ne veulent pas de solutions contraignantes, et le groupe des 77 [^2], plus la Chine, qui sont sensibles aux effets sociaux dramatiques dans le Sud. Se joint à ces contradictions la controverse capitalisme-postcapitalisme : le système économique peut-il accepter ces défis ou simplement prolonger sa crise systémique ?
Pour les mouvements sociaux, l’enjeu est fondamental : dégagés des responsabilités à court et moyen terme, ils peuvent aller à l’essentiel et être la voix des peuples et des classes sociales victimes de l’ensemble de ces crises, à condition d’avoir une analyse lucide qui aille au-delà des symptômes, ainsi que le courage politique nécessaire.

Les conclusions du rapport de la commission Stiglitz vont-elles plus loin que les réformes annoncées par le G20, après le sommet qui s’est tenu en avril à Londres ?

Les propositions de la commission Stiglitz vont en effet bien plus loin : un contrôle plus strict des banques et des agences de notation, une suppression réelle des paradis fiscaux (y compris anglo-saxons) et du secret bancaire, une réforme réelle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), la constitution de nouveaux organes des Nations unies, y compris un Conseil financier et économique du même niveau que le Conseil de sécurité, etc. Sans doute s’agit-il toujours de régulation du système et non pas de nouveaux paradigmes… Mais c’est un néo-keynésianisme assez radical. Comme ces propositions viennent seulement d’être formulées, si l’on excepte les interventions dans l’assemblée générale des Nations unies, il n’y a pas eu beaucoup de réactions. On verra à l’issue de la conférence. Le rapport préparé pour des conclusions des États a cependant été très discuté, avec des manœuvres de dissuasion, et tout cela a reflété les oppositions, principalement entre le Nord et le Sud.

Les propositions de la commission Stiglitz feront-elles partie des débats qui auront lieu au moment du G8 en Italie, prévu du 8 au 10 juillet ?

Le G8 n’aura guère d’importance, car le vrai lieu des décisions est aujourd’hui le G20, et aussi parce que les sept pays les plus influents ne veulent pas trop mettre Berlusconi en valeur.

Ces propositions alternatives devront être discutées à l’assemblée générale des Nations unies en septembre, c’est-à-dire devant l’ensemble des 192 pays membres. Ont-elles des chances d’être adoptées ?

La nouvelle session de septembre se trouvera face aux conclusions de la conférence de juin. Tout va dépendre du rapport de force existant et des personnalités qui prendront le relais de la présidence de Miguel d’Escoto. L’enjeu est de savoir si ces conclusions redonneront à l’assemblée générale un pouvoir plus réel, si elles seront enterrées ou si elles auront une suite.

[^2]: Le groupe a été fondé en 1964 par la Déclaration commune des 77 pays à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Le Groupe des 77 aux Nations unies est une coalition de pays en développement. Le Soudan exerce actuellement la présidence du groupe.

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