Un modèle social à inventer

Pierre Khalfa  • 4 juin 2009 abonné·es

Les traités européens font du droit de la concurrence le fondement du droit de l’Union européenne. Face à ce droit de portée normative, les autres textes européens apparaissent très souvent comme de simples déclarations d’intention sans aucune véritable portée opérationnelle. La Cour européenne de justice, dans quatre arrêts récents, a consacré la prédominance du droit du commerce européen sur le droit du travail national, faisant du dumping social une règle générale.
La Charte des droits fondamentaux, qui devrait devenir contraignante avec le traité de Lisbonne, se révèle un leurre.

Au-delà même du fait que les droits sociaux qui y sont contenus sont de faible portée, leur application est renvoyée aux « pratiques et législations nationales » . Cette charte ne crée donc pas de droit social européen susceptible de rééquilibrer le droit de la concurrence.
Rompre avec ce modèle suppose de créer un droit social européen auquel celui de la concurrence soit subordonné et dont l’objectif doit être d’assurer un emploi décent pour toutes et tous.
Il faut d’abord affermir les droits transnationaux des salariés : reconnaître le droit de grève européen ; renforcer les pouvoirs des comités d’entreprise européens ; rendre, au niveau européen, les entreprises donneuses d’ordre responsables des salariés de leurs entreprises sous-traitantes ; garantir l’égalité de traitement des travailleurs détachés en obligeant au respect des normes d’emploi du pays d’accueil ; élaborer une véritable directive sur le temps de travail protégeant réellement les salariés, etc.

Mais ces mesures ne suffiront pas à casser la logique actuelle de dumping social si n’est pas mis en œuvre un processus d’harmonisation par le haut des droits sociaux dans l’Union européenne. L’objectif doit être d’aller vers des droits sociaux similaires dans tous les pays de l’Union, alors même qu’ils se trouvent à des niveaux de développement très différents. Pour cela, il s’agit de déterminer exactement une liste des droits sociaux fondamentaux (salaire minimum, minima sociaux, revenu minimum garanti, pensions, égalité hommes-femmes…) pour lesquels des normes de convergence seraient établies, et de mettre en place un calendrier contraignant, comme pour les critères de Maastricht.
La question du salaire minimum peut illustrer cette démarche : obligation pour tous les pays d’avoir un salaire minimum ; en fixer le niveau suivant un pourcentage du PIB par habitant, et un échéancier de convergence vers le haut des différents salaires minimum. Une telle méthode pourrait être appliquée aussi pour arriver à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Les services publics doivent être refondés et sortis du champ de la concurrence. La reconnaissance des missions d’intérêt général doit l’emporter sur les règles du marché intérieur.
Concernant les droits des femmes, il faudrait, comme le propose l’association Choisir la cause des femmes, adopter une « clause de l’Européenne la plus favorisée », qui permettra d’avoir le meilleur statut législatif en empruntant à chaque pays, parmi les lois existantes, les plus favorables à leur émancipation.
Ce modèle ne suppose pas moins d’Europe, mais plus d’Europe et surtout une autre Europe. À nous de l’imposer par nos mobilisations.

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