Défense d’informer

Un journaliste camerounais est menacé de mort pour avoir enquêté avec une ONG française sur les détournements orchestrés par le Président Paul Biya.

Ingrid Merckx  • 9 juillet 2009 abonné·es

L’information ou la vie ? Jean Bosco Talla, un des responsables de l’hebdomadaire camerounais Germinal, est menacé de mort. Harcelé chez lui, il a reçu des appels anonymes et des SMS inquiétants depuis la publication, le 24 juin, d’un rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)-Terre solidaire intitulé : « Bien mal acquis, à qui profite le crime ? » Dans ce document qui accuse notamment le président camerounais Paul Biya de détournements d’argent public, Jean Bosco Talla est cité comme auteur d’une enquête sur l’argent et les biens du dirigeant. « T’as qu’à ameuter tout le globe, cela n’a jamais ramené Zongo ni Guy-André Kieffer en vie » , lui aurait-on signifié. Ces menaces évoquant le journaliste burkinabé assassiné en 1998 et le journaliste franco-canadien disparu en 2004 en Côte d’Ivoire rappellent la difficulté, voire l’impossibilité, pour la société civile de certains pays d’informer et de réclamer des comptes à leurs autorités. Elles marquent aussi l’impact de ce nouveau rapport du CCFD.

En mars 2007, l’ONG française publie un rapport sur « La fortune des dictateurs et les complaisances occidentales ». Un document qui vient servir de support à des plaintes contre Omar Bongo, président du Gabon mort le 8 juin, Denis Sassou Nguesso, président congolais et beau-père d’Omar Bongo, et Teodoro Obiang Nguema, président de Guinée équatoriale. Trois symboles de la Françafrique. Surtout, ces plaintes permettent à la juge française Françoise Desset d’octroyer le droit à une ONG d’engager une procédure judiciaire. Un événement car, d’après la Convention des Nations unies contre la corruption, dite Convention de Merida, c’est à l’État spolié de demander restitution. « Ce qui pose problème quand l’État est corrompu », souligne Jean Merckaert, du CCFD, coauteur des deux rapports. Le deuxième, qui « passe en revue les avoirs détournés de plus de 30 dirigeants de pays en développement » , soit plus de 100 milliards de dollars non investis pour les populations, permet également à l’organisation d’adresser dix recommandations à la France et à l’Union européenne dans le cadre du démantèlement des paradis fiscaux.

D’autres partenaires du CCFD au Cameroun pourraient aussi faire l’objet d’attaques, préviennent plusieurs organisations, dont le CCFD, Acat-France (Action des chrétiens contre la torture), la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Dans un communiqué du 2 juillet, elles appellent les autorités camerounaises à veiller à faire cesser les menaces contre Jean Bosco Talla, à garantir sa sécurité et celle des partenaires du CCFD, et à ouvrir une enquête en vue de poursuites. Les biens mal acquis « posent la corruption comme clé de la réussite politique ou économique » et « protègent la criminalité économique », s’insurge l’ONG. Qui ajoute, en réponse aux critiques que le rapport déclenche : « En particulier dans les pays pauvres, l’accaparement des richesses par une minorité – dirigeants locaux, entreprises internationales – est un scandale. » D’où la nécessité d’exiger justice et restitution, principe clé du droit international depuis 2003.

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