Le Front de gauche jusqu’où ?

L’élargissement de l’alliance initiée aux européennes par le PCF, le Parti de gauche et la Gauche unitaire fait débat. Et cela dépasse le seul enjeu des régionales.

Michel Soudais  • 17 septembre 2009 abonné·es
Le Front de gauche jusqu’où ?

La gauche a fait sa rentrée politique, le week-end dernier, à La Courneuve. Plus que les années passées, la foule était au rendez-vous de la Fête de l’Humanité. Une affluence populaire exceptionnelle : les organisateurs annoncent 600 000 visiteurs sur les trois jours, qui ont envahi les travées dès vendredi après-midi, attirés bien sûr par la tête d’affiche des concerts, Manu Chao, vedette du premier soir et d’un public jeune et rebelle. Mais le peuple de gauche qui se pressait dans les travées était aussi avide de discussions et de débats. En attente de solutions face à la crise, de perspectives politiques « à gauche » et surtout d’unité. Un mot souvent scandé dans les débats par des auditoires attentifs et exigeants. Déjà un slogan, révélateur d’une aspiration, dont les contours restent à définir.
Sur la fête, où la Fédération, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), le Parti de gauche (PG) et la Gauche unitaire (GU), quatre formations apparues depuis l’an dernier, avaient pignon sur rue. Également Lutte ouvrière, qui n’avait jamais obtenu de stand jusque-là. Cette volonté du PCF d’ « ouvrir grandes les portes et les fenêtres » a toutefois des limites. Et l’on pouvait voir des cohabitations bien improbables, comme celle qui faisait se côtoyer, avenue Louis-Aragon, le stand du Pôle de renaissance communiste en France (PRCF) et celui, plus modeste, de Terra nova, la droitière « fondation progressiste » . Si la volonté d’unité s’affichait aussi fortement dans les allées de La Courneuve, tous les responsables politiques croisés s’accordent à penser que c’est l’un des acquis du Front de gauche. Il a « enclenché une dynamique » et « redonné aux militants communistes l’envie d’en découdre » , nous explique-t-on.

Comme elles s’y étaient engagées au lendemain des européennes, les formations politiques qui composaient cette alliance ne songent d’ailleurs aucunement à y mettre un terme. « Fou serait celui qui prendrait la responsabilité de briser l’espoir qui commence à se lever dans le pays », avertit Christian Picquet (GU).

Lors d’un débat sur le stand du Parti de gauche avec ce dernier et Jean-Luc Mélenchon auquel participaient aussi Pierre-François Grond de l’exécutif du NPA et Jean-Jacques Boislaroussie (Alternatifs), Pierre Laurent, numéro deux du PCF, l’a dit sans détour : « Le choix de construire le Front de gauche n’est pas un choix de circonstances pour le Parti communiste, c’est un choix durable dans notre esprit. Nous sommes déterminés à poursuivre dans ce chemin-là sans aucune ambiguïté. » Mais si tous s’entendent pour le pérenniser et l’élargir, les modalités de cet élargissement sont âprement discutées. Et c’est sur les relations du Front de gauche avec le PS que la controverse a pris forme.

Avant toute décision sur sa stratégie aux régionales, le PCF souhaite organiser sept ateliers thématiques sur le projet, ouverts à toutes les formations politiques de la gauche, PS compris. Pour Marie-George Buffet, qui en a exposé l’objectif, en présence de Jean-Luc Mélenchon, Christian Picquet, Cécile Duflot (Verts), Claude Bartolone (PS), Arlette Laguiller et Nathalie Arthaud (LO), lors de la traditionnelle réception que la direction du PCF organise sur la fête pour les personnalités politiques, syndicales et associatives, ce « débat d’idées » doit « permettre l’émergence d’un projet à gauche » et voir quelles majorités sont possibles à gauche. « En fonction de ce qui se sera passé dans ces ateliers » , le PCF décidera de sa position aux régionales explique-t-elle, tout en souhaitant qu’ils soient coorganisés avec ses partenaires du Front de gauche.

Si la Gauche unitaire n’y est pas hostile, le Parti de gauche n’entend pas être associé à la recherche d’une « plateforme partagée » avec le PS. Il fait remarquer que les thèmes retenus sont suffisamment larges et peu clivants pour que ces ateliers montrent plus de convergences que de divergences. Les sept retenus sont : argent, démocratie, nouveau mode de développement, Copenhague et climat, services publics et rôle de l’État, école et formation, alternatives à la marchandisation du « temps libéré ». De fait, lors d’une visite très médiatisée, dimanche matin, sur la fête, Martine Aubry a accepté, sans réticence aucune, d’y participer. « La priorité, c’est le rassemblement de la gauche (…), tous les socialistes sont d’accord là-dessus » , a assuré la maire de Lille à Mme Buffet.
Le désaccord entre le PCF et le PG sur ces ateliers traduit une divergence stratégique sur les objectifs du Front de gauche. Le premier est enclin à modifier le centre de gravité de la gauche par la négociation et le rapport de force, quand le second prône plus volontiers la compétition électorale et la confrontation politique avec le PS. « Le Front de gauche n’a pas vocation à combattre une partie de la gauche, a déclaré Patrick Le Hyaric, sur la grande scène de la fête. Il a vocation à permettre la défaite de la droite en ressourçant la gauche, toute la gauche. » Au contraire, pour Jean-Luc Mélenchon, le Front de gauche ayant vocation à « conquérir le leadership à gauche » , il « n’est pas élargissable au PS ». Mais peut l’être au NPA, qui « a d’ores et déjà changé ».

Le président du Parti de gauche, qui concluait le débat organisé sur son stand, a insisté sur la nécessité pour le Front de gauche de « passer devant [le PS] au moins une fois dans une région » , pour « voir s’il acceptera de se désister » , suscitant de vifs applaudissements, jusque dans l’allée Louise-Michel, où se massaient des centaines de personnes. Appelant le Front de gauche à avoir « de l’ambition » , il a estimé que celui-ci était un des « protagonistes » du « bras de fer » qui se joue entre les tenants d’une gauche recentrée et ceux qui, en Allemagne, en Irlande ou en Amérique latine, travaillent à faire ressurgir une gauche de transformation sociale et écologique.

Politique
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