Une main de flic dans un gant de velours

La ville de Liège, en Belgique, a mis en place depuis quelques années une police de proximité. Si l’initiative ne règle pas tous les problèmes, elle apaise les tensions. Reportage.

Erwan Manac'h  • 19 novembre 2009 abonné·es
Une main de flic dans un gant de velours

«Organiser des matchs de foot avec les jeunes, c’était bien, mais insuffisant. » Au sein de la cellule multiculturelle de la police de Liège, Jean-Pol Bonjean est un « reficeleur » de liens. Depuis huit ans, il est missionné pour tenter de préserver, dans les quartiers populaires, les bonnes relations que les habitants entretiennent avec leur police. Au début, il organisait des tournois de foot et des projets de prévention avec les associations communautaires fourmillant dans les quartiers de la ville. Rapidement, il a constaté les limites des collaborations ponctuelles et cherché à installer une vraie relation de confiance entre les jeunes et la police.

Le quartier de Burenville, peuplé de 3 200 habitants, est coincé sur les hauteurs de la ville entre le périphérique et la bourgade de Saint-Nicolas. Une enclave traversée de problèmes de délinquance juvénile, dépourvue de structures de jeunesse ou d’animation locale pour y répondre. Avec un éducateur de rue, Jean-Pol Bonjean en a fait un laboratoire de ses projets de rapprochement.

En 2006, un voyage mémoriel aux camps de Buchenwald, en Allemagne, a été organisé avec une délégation constituée de jeunes, de policiers, de conducteurs de bus (régulièrement agressés) et de retraités. Ce premier voyage s’est poursuivi par des week-ends d’aventure baptisés « X-cape », des « week-ends commandos » mis en place avec un organisme de formation. En deux ans, dix séjours ont été organisés avec 130 jeunes de six quartiers de l’agglomération. Le concept : deux jours d’escapade avec une vingtaine de personnes (policiers, conducteurs de bus et jeunes). Tous logés dans un refuge rustique qui force la proximité. Dès le vendredi soir, une marche nocturne impose de s’entendre pour définir un itinéraire. « Le lendemain, il y a toute une série d’épreuves où l’entraide est le ­maître mot, explique Philippe Walter, ­éducateur à Burenville, qui coorganise les week-ends. On avait à cœur de créer des conflits positifs pour forcer tout ce beau monde à communiquer, sachant qu’il existe un manque de reconnaissance, du côté des jeunes comme du côté de la police. » En vue : un dialogue efficace pour briser les préjugés, apprendre à se connaître et à se respecter.

À l’issue des week-ends, les participants sont à nouveau réunis pour importer dans les quartiers le fruit de cette nouvelle complicité. Une affiche articulée autour de ces escapades, par exemple, a été conçue et collée dans les rues par des jeunes et des policiers, côte à côte. Des dîners sont aussi organisés pour associer la population. En avril dernier, plusieurs jeunes ont créé leur association. « On essaie simplement d’ouvrir une structure pour maintenir les jeunes dans une attitude positive, loin de l’influence de la minorité qu’on ne peut plus atteindre », explique Lahoucine Knar, cofondateur de l’association, qui a participé à plusieurs week-ends « X-cape ».
Pour la police, ces projets ont favorisé l’installation d’un véritable travail de proximité. Le « référent jeunesse »(chargé, dans tous les commissariats, d’une mission de veille et de prévention) s’emploie ici à nouer un lien privilégié avec les jeunes. C’est Roland Dangis, 1,90 mètre de force tranquille, qui porte cette casquette. Il connaît la plupart des gamins et peut s’adresser à eux directement en cas de besoin. Il intervient aussi parfois pour des conseils ou pour régler des démêlés qui risquent de mal tourner. « Roland, c’est notre pote, pouffent deux adolescents postés près du stade de Buranville. Il est gentil. Mais bon, ça reste la police… Ils essayent des trucs plus proches de nous pour encore plus nous baiser. On préfère avoir à faire aux autres policiers parce qu’avec lui, dès qu’on fait un truc, il nous attrape. Il faudrait une police qui nous laisse tranquilles ! »

Fin connaisseur du quartier, Roland Dangis conçoit aussi son rôle comme un soutien à l’action judiciaire envers les mineurs délinquants. « J’ai croisé des jeunes qui faisaient des petites bêtises, d’autres qui commettaient leur premier car-jacking [vol de voiture avec menaces ou violence sur le conducteur]. Aujourd’hui, ils sont connus pour des braquages. On peut stopper ces évolutions en adaptant les réponses à chacun, en fonction de l’environnement familial et des antécédents. » Il tente donc d’entretenir ses relations, y compris avec les plus impliqués dans les actes délinquants. Un équilibre délicat dans une mission d’ordre public : « On est plus tolérants que certains collègues sur des petites choses, et c’est bien. D’une certaine manière, il y a besoin du gentil flic et du méchant flic. »
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Sur les hauteurs de Burenville, derrière un alignement d’immeubles, trois jeunes adultes disent tout le mal qu’ils pensent de la police. *« Ils nous contrôlent constamment,
peste l’un deux, nous disent que c’est leur métier. Mais bon… chacun son métier. » Sur la place de l’église de Sainte-Marguerite, un autre quartier du secteur de police, des collégiens renchérissent : « On n’aime pas la police, on n’a pas de bons rapports avec eux » , tranche l’un d’eux, rappelant les cris et les insultes qui fusent au passage des patrouilles. « Franchement, cela dépend des policiers », concède un jeune homme d’une vingtaine d’années. Une note d’optimisme, toute relative, que partage le responsable de la maison des jeunes de Sainte-Marguerite, Xavier Hutsemékers. « Les difficultés sont nombreuses. Depuis quelques années, certains policiers ont un très bon rapport avec les jeunes. Cela reste marginal, mais il existe une réelle amélioration. »

Une évaluation menée par l’Université catholique de Louvain observait, en janvier 2009, que la petite criminalité (injures, agressions et dégradations) à Burenville est en moyenne inférieure de 6,5 % les dix mois suivant les week-ends « X-cape ». C’est significatif, mais encore faible. Et, dans les têtes, le bilan est mitigé. Assurément, le divorce entre la police et la population reste loin du fossé observé dans certains quartiers en France. Pour beaucoup, cela s’explique par un urbanisme moins segmenté socialement. À Liège, il n’y a plus de grands ensembles depuis que les cinq tours immenses de la proche banlieue de Droixhe ont été vidées (dans l’attente d’une démolition). La délinquance juvénile et les phénomènes de bandes ne concernent qu’une cinquantaine de jeunes dans chaque quartier populaire, tandis que le touristique centre-ville entretient une certaine sérénité dans les relations entre la police et la population. Une affaire culturelle, estime Pascal Gillot, chargé de communication et instructeur à la police de Liège. « La Belgique est un pays de cocagne. On a des communautés germanophones, francophones et néerlandophones. On doit dialoguer pour pouvoir s’entendre. On a l’habitude. »

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