La colère toute nue

Une pièce féroce
de l’auteure et actrice algérienne Rayhana
sur la condition féminine dans son pays.

Gilles Costaz  • 7 janvier 2010 abonné·es

L’auteure et actrice Rayhana, née à Alger, a choisi depuis quelques années de vivre en France. Pourtant, le plus fort de son activité s’est déroulé en Algérie, où elle a joué au sein de la troupe du Théâtre national de Béjaïa, au cinéma et à la télévision. Elle a même collectionné les prix d’interprétation. Mais ce qu’elle dit dans sa première pièce écrite en français et créée à la Maison des métallos, À mon âge, je me cache encore pour fumer, elle ne pourrait sans doute pas l’exprimer aussi ouvertement dans son pays natal. C’est une œuvre féroce contre la domination des hommes et l’intimidation que fait régner un pouvoir religieux en forte progression.

Tout se passe dans un hammam d’Alger, que l’auteure appelle «  une matrice » . L’une après l’autre, des femmes arrivent, sous le contrôle d’une masseuse bourrue qui a la responsabilité du lieu. Derrière un paravent, elles quittent leurs vêtements pour venir au premier plan couvertes d’une tunique légère, et se laver en dévoilant un peu de leur corps. Le moment où elles se changent est important. Aucune ne porte de tchador, sauf une, que l’on voit de dos retirer sa robe noire et sa coiffe. Cette femme est la seule intégriste du groupe qui se constitue devant nos yeux. L’intégrisme est surtout à l’extérieur, tout autour de ce huis clos, avec un homme qui viendra frapper et veut enlever une femme qui a manqué à la loi.

Les autres femmes sont toutes des rebelles à l’ordre des mâles. Mais aucune ne ressemble à sa voisine. Il y a celle qui a une vie sexuelle fort libre, celle qui vit pour ses enfants, celle âgée qui en a tant vu, celle qui donne des leçons aux autres et celle qui n’en veut pas… Jeunes et vieilles palabrent, mais pas en toute innocence. Car, peu à peu, les faits les plus terribles surgissent dans la conversation : une amie a été frappée, une autre massacrée. Tout devient de plus en plus grave. Une mère venue de France vient là chercher une jeune fille pour la donner à son fils, et se montre réticente face à l’étudiante un peu naïve qu’une marieuse lui propose. L’intégriste défend les imams et tous ceux qui exécutent leurs volontés : c’est au sein de l’université qu’elle agit, plus encore qu’au hammam ! Et cet homme qui cogne furieusement à la porte vient pour s’emparer d’une jeune fille qui aurait perdu sa virginité. Comment va réagir cette communauté de femmes si divisée ?

Ce qui frappe, c’est la violence de cette pièce très poignante. Rayhana, qui y joue un personnage très discret, lâche une colère étincelante. Les oppositions dont elle se sert sont parfois un peu écrites à la hache. Mais quelle fougue ! L’excellente mise en scène de Fabian Chappuis table sur le contraste entre un décor abstrait – un grand parallélépipède blanc posé sur un plateau vide – et des comédiennes très charnelles : Marie Augereau, Linda Chaïb, Maria Laborit, Rébecca Finet, Taïdir Ouazine, Paula Brunet-Sancho, Géraldine Azouélos, Catherine Giron. Le hammam devient un lieu sans contours où l’âme est aussi ­visible que le corps. La fureur et la terreur vous sautent au visage en même temps qu’un amour désespéré.

Culture
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