De sacrés cadeaux à l’école privée

À la veille des élections régionales, des fédérations de l’Éducation lancent un appel national pour défendre l’école publique contre une série de mesures favorisant les établissements privés.

Manon Loubet  • 4 février 2010 abonné·es
De sacrés cadeaux à l’école privée
© Photo : Daniau/AFP

«Cinquante ans après la loi Debré, qui a permis aux écoles privées d’être financées par l’État à coup de sommes énormes, le gouvernement continue de multiplier les mesures privilégiant l’enseignement privé » , s’indigne Laurent Escure, secrétaire général du Comité national d’action laïque (Cnal). À l’initiative de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), 23 fédérations de l’Éducation, dont l’Unsa, l’Unef et l’Union nationale lycéenne (UNL), ont lancé le 28 janvier à Paris, lors d’une conférence de presse, « un appel national pour l’école publique et laïque destiné à contrer les choix politiques actuels qui favorisent le privé ». « À l’aube des élections régionales, c’est un outil qui doit relancer le débat sur la laïcité » , résume Laurent Escure. Il se concentre notamment sur la répartition des enveloppes budgétaires.

En effet, les aides publiques concédées aux établissements privés augmentent chaque année, d’après Laurent Escure : l’État alloue environ 15 % du budget de l’Éducation à l’enseignement privé, contre 13,5 % en 2006. De plus, « le montant est passé de 6,9 millions en 2009 à 7 millions d’euros en 2010 » , ajoute le secrétaire général. Pour 2 millions d’élèves sur 10 millions.

La pétition « Pour l’école publique » dénonce également « le développement du privé par le plan banlieue », qui passe par l’ouverture d’une cinquantaine de classes de l’enseignement catholique privé dans les zones sensibles. Elle s’insurge aussi contre la loi Carle du 28 octobre 2009, selon laquelle les communes doivent financer les écoles privées d’autres communes si leurs résidents ont choisi d’y scolariser leurs enfants, notamment quand les capacités locales sont insuffisantes, pour « raisons médicales » ou par « obligation professionnelle » des parents.
Pourtant minoritaire, « l’enseignement privé dispose de moyens en postes supérieurs au public, de classes à faibles effectifs et d’un ­nombre très élevé d’établissements, souligne Eddy Khaldi, conseiller fédéral de l’Unsa Éducation. Pourtant, il n’est pas contraint de répondre à l’obligation scolaire et aux contraintes géographiques comme le service public ».
Deux sortes d’établissements privés existent : les écoles hors contrat, complètement autonomes, et les écoles sous contrat d’association avec l’État. Pour ces dernières, le service public rémunère et forme les enseignants. Les collectivités locales participent au fonctionnement matériel des classes. 95 % des établissements privés catholiques fonctionnent avec de l’argent public.

Cela ne veut pas dire pour autant que les compteurs sont au beau fixe. Le financement public pour l’enseignement privé catholique sous contrat est insuffisant, d’après Éric de Labarre, secrétaire général à l’Enseignement catholique. Le secteur est également frappé par les suppressions de postes : 1 100 en 2009. En outre, 67 % des Français estiment que l’État « devrait aider l’enseignement privé à ouvrir d’autres établissements ou de nouvelles classes, afin que tous les parents qui le souhaitent puissent y scolariser leurs enfants » , d’après un sondage de décembre 2009 (CSA/Apel/ la Croix ). Et 84 % jugent « que la liberté donnée aux parents par la loi Debré de pouvoir choisir entre l’enseignement public et l’enseignement privé pour scolariser leurs enfants est une “bonne chose” ».

La France se place en tête des pays européens en matière d’enseignement privé catholique. « Les petits Français représentent un tiers des élèves inscrits dans les écoles catholiques dans toute l’Europe ! » , s’exclame Eddy Khaldi, qui oppose la Finlande, où le système éducatif est public et laïque, à la Belgique, où le service public est stigmatisé comme l’école des « pauvres ». La France pourrait bien suivre le modèle de son voisin direct : « Si les écoles publiques ne peuvent plus assurer une bonne éducation, les familles riches iront dans le privé. On assistera à une ghettoïsation des écoles de l’État », redoute Antoine Evennou, représentant de l’UNL.
Le financement des écoles privées sera-t-il au programme des questions débattues pendant la campagne des régionales ? L’appel « Pour l’école publique » ne fait pas l’unanimité au sein du mouvement laïque : d’accord sur le fond, la FSU et la Ligue de l’enseignement estiment que « le contexte n’est pas favorable à une telle pétition » . Il n’empêche, les fédérations signataires espèrent obtenir environ 100 000 signatures d’ici à juin . C’est bien parti car lundi matin, ils enregistraient déjà 10 000 signatures. Et adressent un message spécial en direction des candidats aux régionales : « Nous voulons qu’ils puissent défendre notre refus d’un modèle d’école qui transforme les parents en consommateurs et accroît la concurrence et les inégalités. »

Société
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