La grève des chômeurs

Christine Tréguier  • 29 avril 2010 abonné·es

Les précaires sont les exclus de la société, juste après les sans-papiers et les sans-logis. Ils sont les presque-pas-de-droits, hormis celui d’accepter des boulots éphémères et mal payés sous peine de perdre ce qui leur reste d’allocations. Entre deux CDD, ils ont le temps de réfléchir et d’inventer. Et c’est ce qu’ils font : « Nous avons besoin d’inventer ensemble une grève des chômeurs, une grève de tous les précaires. Nous appelons à commencer dès le 3 mai. »

Ce mot d’ordre, ils ont choisi de le faire passer à la télévision. Mercredi 22 avril, ils ont investi, en direct, le plateau de l’émission « L’Objet du scandale » sur France 2. Bons princes, Guillaume Durand et son invité, Frédéric Mitterrand, les convient à leur table, leur concédant quelques minutes du précieux temps cathodique. « Qui êtes-vous ? » Surprise, la troupe n’a rien à voir avec le débat du soir sur la nomination du président de France Télévisions. Nous sommes chômeurs et précaires, répondent-ils. Une jeune femme vient se caler contre l’épaule de Durand. « Ne tremblez pas » , lui souffle-t-il, paternaliste. Et elle commence la lecture de leur appel à la grève. « Ce n’est pas parce que nous n’avons pas d’usine où nous retrouver qu’on ne va pas s’organiser. Mais ce serait quoi, une grève des chômeurs ? Ça commencerait par un mouvement de refus. Refus de nous laisser harceler, mobiliser, culpabiliser, insérer de force. Les réformes de Pôle emploi ou du RSA cherchent à nous coincer, un par un, pour nous faire accepter des emplois de 10 heures par semaine payés une misère dans les secteurs les plus difficiles. »

Durand s’affole. « Trop long, trop long ! » Le colonel Mitterrand vient à sa rescousse : « On n’a qu’une heure et demie d’émission, revenez à la fin avec un texte plus court et on vous laissera le micro. » La précaire continue sans se démonter : « Devrions-nous avoir honte de ne pas savoir nous vendre à n’importe quel employeur, honte de ne pas vouloir déménager pour un boulot, honte de ne pas accepter tout et n’importe quoi, de ne pas plier, en somme, devant la raison économique ? […] Nous avons mieux à faire que chercher des emplois inexistants, mieux à faire que ce que l’on exige de nous. Voilà pourquoi nous refusons d’être suivis, contrôlés, managés, culpabilisés, radiés. »

Durand veut l’interrompre. « Taisez-vous s’il vous plaît » , lâche-t-elle. « La grève des chômeurs et précaires, ce serait décider ensemble d’enrayer une machine à précariser faite pour nous manager à mort. Nous appelons tous les travailleurs précaires, les intérimaires en colère, les intermittents du spectacle et de l’emploi, les saisonniers, les stagiaires démotivés, les étudiants désorientés, les retraités en mal de revenu, les sans-papiers, les licenciés preneurs d’otage, les travailleurs forcés, les volcans fraîchement réveillés à se rencontrer, à discuter dans les queues des CAF et des Pôles emploi, dans la rue, partout. Inventons ensemble la grève des chômeurs et précaires. »
Durand s’agite. « Bon, ça suffit. » Les précaires satisfaits repartent sous les applaudissements du public. Un bien joli moment de télé-rision.

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