Françafrique, version Sarkozy

Au milieu de quelques dictateurs légitimés, le président français a fait du business, « sans le moindre complexe ».

Clémence Glon  • 3 juin 2010 abonné·es

Nicolas Sarkozy conviait 38 chefs d’État et de gouvernement africains à Nice lundi 31 mai et mardi 1er juin, pour le 25e sommet Afrique-France. Une première pour le Président, qui a affirmé plusieurs fois vouloir sortir des anciens réseaux d’influence pour favoriser plus strictement les intérêts de la France. Trois grands huis clos, qui avaient pour thématiques la place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale, le renforcement de la paix et de la sécurité, et les questions de climat et développement, ont rythmé les deux jours de rencontre. Le sommet présenté comme celui du « renouveau » était en partie consacré au 50e anniversaire de la décolonisation.

Cependant, la liste des invités a déjà de quoi soulever certaines interrogations. Si Omar El Béchir, visé par un mandat de la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité au Darfour, s’est fait représenté, Sékouba Konaté et Salou Djibo, respectivement présidents de Guinée et du Niger, ont participé à la rencontre. En décembre 2008 et en février 2010, la France avait pourtant condamné les putschs menés par ces deux dirigeants. « Parmi les invités, il y a des anciens putschistes et chefs de guerre, comme les piliers de la Françafriaque que sont le Centrafricain [François Bozizé] ou le Congolais [Denis Sassou Nguesso]. Et d’autres qui se maintiennent au pouvoir en bourrant les urnes ou en terrorisant l’opposition, comme au Tchad » , relève Reed Brody, de l’organisation Human Rights Watch.

Vraisemblablement, le souci de démocratie n’était pas primordial sous le soleil de la Côte d’Azur. Jamais un tel sommet n’avait revêtu un caractère commercial aussi décomplexé. L’invitation de 250 grandes entreprises françaises et africaines, venues pour se pencher sur le rôle du secteur privé dans le développement du continent, annonçait la couleur. « La France vous considère tous comme des amis, comme des partenaires » , a lancé Nicolas Sarkozy à la quarantaine de dirigeants. L’Afrique, qui ne représente plus que 2 % des échanges commerciaux de la France, contre plus de 40 % dans les années 1960, reste convoitée pour ses matières premières (pétrole et uranium, notamment). Mais, contrairement à la première époque de la Françafrique, des concurrents nouveaux investissent sur le continent. La Chine, par exemple, multiplie les accords commerciaux avec les anciennes colonies françaises.

Une quarantaine d’associations appelaient à défiler contre la politique de la France vis-à-vis de l’Afrique. Parmi elles, l’ONG Survie dénonçait le soutien de Paris à des régimes corrompus et dictatoriaux. Pour Olivier Thimonier, secrétaire général, « 2010 devrait être la consécration d’une nouvelle politique française en Afrique » . Afin de défendre les intérêts des entreprises françaises, « on maintient les réseaux qui servent ces intérêts ». Au Gabon, par exemple, « la France défend les positions du pétrolier Total » . Pour Olivier Thimonier, la France « veut garder un lien privilégié avec les vieux amis francophones » . C’est la raison pour laquelle Nicolas Sarkozy aurait fixé un second rendez-vous, qualifié de « familial » , à Paris, les 13 et 14 juillet prochains. « Ce qui paraît scandaleux aujourd’hui, c’est que le président français considère que l’aide publique au développement doit ­favoriser les entreprises françaises et doit contribuer à la croissance en Afrique, continue le secrétaire général de Survie. Nous, nous considérons qu’elle doit d’abord servir le développement. »
Nicolas Sarkozy s’est également entretenu en tête à tête avec les dirigeants du Congo et de l’Afrique du Sud, les deux géants anglophones du continent. La gouvernance mondiale était au cœur de ces discussions. L’Afrique, qui représente 27 % des États membres des Nations unies, ne dispose à l’heure actuelle que de trois sièges non permanents au Conseil de sécurité. Les pays africains réclament depuis 2005 deux sièges permanents avec droit de veto et au moins deux sièges non permanents supplémentaires.

Mais Jacob Zuma, le président sud-africain, regrette également que le sommet ait pour cheval de bataille l’économie. Pour lui, inviter certains dirigeants équivaut à reconnaître leurs actions. «  Nous souhaiterions que ces gens n’aient pas cette reconnaissance, parce que s’ils sont reconnus ici au même niveau pratiquement que les autres chefs d’État, cela pose un problème pour l’Afrique » , a-t-il déclaré à la chaîne France 24.

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