L’art de bâillonner subtilement

Le statut de Défenseur des droits, qui doit fusionner quatre autorités actuelles, nuira à l’indépendance de ces contre-pouvoirs, estiment nombre d’observateurs.

Clémence Glon  • 3 juin 2010 abonné·es

Quatre en un. C’est un peu la formule que défend le sénateur Patrice Gélard (UMP) à propos du projet de loi relatif au Défenseur des droits, nouvelle entité entrée dans la Constitution en juillet 2008. En voulant fusionner en une même autorité administrative indépendante (AAI) le médiateur de la République, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et le Défenseur des enfants, Patrice Gélard entend « passer le mur du son en matière de droit » . Aujourd’hui, sept autorités administratives sont chargées de la protection des droits. Elles aboutissent à un système trop complexe, juge le sénateur, pour qui la création de ce nouveau statut serait la première étape d’un processus de simplification. « Cette consécration suffira à donner à l’intervention du Défenseur des droits un retentissement plus important que celui des AAI préexistantes » , assure-t-il dans un rapport rendu public le 19 mai. À terme, la Cada et la Cnil pourraient également fusionner. Les pouvoirs de cette nouvelle institution « doivent donner au Défenseur des droits les prérogatives et les moyens d’un véritable contre-pouvoir au service des personnes confrontées aux défaillances et dysfonctionnement des organismes publics » , défend Patrice Gélard. Mais la CNDS, l’actuelle Défenseure des enfants et la Ligue des droits de l’homme (LDH) y voient au contraire une menace sur l’indépendance de ces autorités.

La création du Défenseur des droits « n’est pas une fusion mais une disparition » , tranche Roger Beauvois, président de la CNDS. D’après lui, les administrations fusionnées requièrent des connaissances particulières et perdraient en aptitudes en étant diluées dans une autorité généraliste. « Les compétences seront trop larges. Les dénominations actuelles sont plus claires », conteste-t-il. En outre, le pouvoir de la CNDS sera réduit : seul le Défenseur des droits constituera l’autorité décisionnelle, le « collège relatif au respect de la déontologie de la sécurité » n’aura qu’un avis consultatif, et la CNDS ne pourra plus ­émettre elle-même ses avis.
Même son de cloche chez Dominique Versini, actuelle Défenseure des enfants. Hostile au placement des enfants sans papiers en centre de rétention, elle dérange. Pour elle, le projet de loi représente « un recul par rapport aux préconisations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU » . En juin 2009, en effet, l’ONU encourageait le gouvernement français à « renforcer le rôle » du Défenseur des enfants. Le projet actuel prend la direction opposée. Les collèges consultatifs mis en place ne servent qu’à « faire semblant de conserver ce qui existe » , estime Jean-Pierre Dubois, président de la LDH. En remplaçant quatre administrations par une personne, « c’est bien le modèle monarchiste qui est respecté. Nous allons vers moins d’indépendance ».

Le Défenseur des droits devrait disposer d’au moins 30 millions d’euros, soit l’addition des budgets des autorités fusionnées. Patrice Gélard se dédouane ainsi d’être motivé par des « économies d’échelle ». « Sinistre plaisanterie » , raille Jean-Pierre Dubois : « À l’automne 2009, Fabrice Gélard et le groupe UMP avaient voté pour une réduction de 30 % du budget de la Halde. » Contradiction ou virage de la part de la commission des Lois du Sénat ? L’affaire est déjà bien avancée puisque le rapport du Sénat prévoit la nomination du premier Défenseur des droits en janvier 2011. Aucun nom ne circule encore.

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