Papiers, la quête infernale

Associations et élus de Seine-Saint-Denis se mobilisent pour réclamer au nouveau préfet une amélioration des conditions d’accueil des étrangers. Reportage à Bobigny.

Noëlle Guillon  • 30 septembre 2010 abonné·es
Papiers, la quête infernale
© PHOTO : N. GUILLON/AFP Télécharger le livre noir et signer la pétition :

Bobigny, préfecture de la Seine-Saint-Denis, 7 heures. Ils sont déjà des centaines à attendre dans plusieurs files, dans la fraîcheur matinale de septembre. Eux, ce sont des immigrés, en attente d’un premier titre de séjour ou d’un renouvellement. Les premiers, pour être sûrs de pouvoir entrer, sont arrivés la veille dès 22 h 30 et ont tenté de dormir à même le sol. Car il n’y a pas tous les jours des tickets pour tous, assurant d’être entendu à un guichet. Il y a là des mamans avec leur bébé, des étudiants, des salariés qui espèrent encore pouvoir ne pas arriver trop tard sur leur lieu de travail. Cette situation est désormais pathologiquement normale à Bobigny. Pour dénoncer ce qu’elles qualifient d’ « indignité » , dans l’accueil mais aussi le traitement des dossiers, dix-huit associations ont lancé un appel à venir accompagner les demandeurs en ce mardi matin, le 21 septembre, dès l’aube. Pour les soutenir, partager ce moment et aussi tenter de se faire entendre du nouveau préfet. Car, ces derniers mois, les conditions d’accueil des étrangers se sont dégradées, alors que l’ex-chef du Raid (police nationale) Christian Lambert, proche de Nicolas Sarkozy, a été nommé à la tête du département par le chef de l’État le 19 avril dernier.

Les associations, en scandant les mots « accueil et dignité pour les étrangers » , ont présenté un « livre noir » de 42 pages, recueil de témoignages sur des scènes vécues depuis près d’un an le long des rampes d’accès à la direction des étrangers. Le constat, lamentable, fait état de conditions insupportables. Des attentes de neuf heures dans le froid, la pluie, pour se voir remettre des listes de pièces à fournir, voire pour ne rien obtenir du tout. 200 à 300 personnes peuvent ainsi faire la queue dans les différentes files prévues en fonction des demandes, selon le rapport. Elles étaient presque 500 en ce mardi matin. Alors un trafic s’installe, sous les yeux des policiers. Vingt euros pour une meilleure place dans la file. Selon les chiffres de la préfecture, la direction des étrangers accueille près de 1 500 personnes par jour, dans ce département où près de 30 % des habitants sont de nationalité étrangère. Un accompagnant associatif témoigne dans le rapport : « 12 mai 2010, pratiquement toutes les personnes présentes dans la file 1 ont été refoulées, uniquement douze tickets distribués aujourd’hui. Les deux agents faisant le tri à la porte nous ont dit de revenir la semaine prochaine, car aucun dossier de demande de titre de séjour ne sera remis, manque de personnel, deux agents et demi aujourd’hui aux guichets. » Un guichetier, anonyme, prend la parole pour évoquer « ceux que l’on oblige à devenir méchants ». « Être derrière le guichet, c’est affolant. Notre quotidien, c’est celui des usagers. Quand nous sommes deux et que l’un part en pause-déjeuner, croyez-vous que l’autre veuille rester ? Il faut des effectifs pour gérer. »

Bien opportunément, le préfet Lambert a annoncé le 16 septembre, quelques jours avant la date prévue de la manifestation, un plan d’action qui devrait être opérationnel à l’automne. Il reconnaît dans un communiqué que « malgré la forte implication des fonctionnaires chargés de l’accueil du public, les conditions d’accueil et d’attente […] se sont dégradées au cours des premiers mois de l’année 2010. » Considérant cet état de fait comme antérieur à son arrivée, le nouveau préfet a demandé un audit à l’Inspection générale de l’administration. Celui-ci a abouti au début de l’été à la présentation du plan d’action proposant un « renfort en personnels et en moyens techniques » . Les associations, qui avaient sollicité une entrevue avec le préfet dès son installation, regrettent que la concertation se soit limitée « au corps préfectoral et aux agents ». Ils déplorent notamment qu’aucune garantie ne soit donnée sur le recrutement de nouveaux agents, en ces temps de restriction de postes. « Comment ne pas remarquer que le préfet, après l’auvent construit par son prédécesseur, promet la construction de toilettes extérieures, mesure qui indique à l’évidence qu’il n’espère pas limiter sensiblement les files d’attente ? » Plus grave, selon les associations, toute l’opération ne viserait qu’à « gommer un peu tout ce qui fait tache » . Une crainte confortée par les déclarations de la ministre chargée de l’Outre-Mer, Marie-Luce Penchard, le 26 mai dernier : « Ce qui est en jeu, c’est l’amélioration de l’image de l’État dans le département de la Seine-Saint-Denis, comme l’a explicitement demandé le président de la République lorsqu’il a installé à Bobigny le préfet Christian Lambert. » Sur le scandale le plus grand, celui caractérisant l’injustice dans le traitement des dossiers, pas un mot dans le communiqué du préfet.

Pourtant, les entorses se multiplient. Selon le livre noir, de six à huit mois s’écoulent entre le premier accès à un guichet et la première convocation, puis entre le dépôt de dossier et la première réponse. Le titre arrive, lui, bien souvent après l’obligation de quitter le territoire français (OQTF). Qualifiant les pratiques de « procédures tirant la loi dans le sens le plus défavorable », les associations notent la délivrance de plus en plus fréquente d’autorisations provisoires de séjour de trois mois, sans autorisation de travailler. Le droit au respect de la vie privée et familiale est trop souvent ignoré. Marie-Berthe, soutenue par les Amoureux au ban public, est mariée à un Français et mère d’un enfant sur le territoire. « J’ai connu le calvaire à la préfecture, trois ans d’attente, des gardes à vue, le centre de rétention. Avant même de venir faire la queue ici, on est dans une situation d’angoisse. »

Aux côtés des associations, des politiques. La maire de Bobigny, Catherine Peyge, et la première adjointe au maire de Saint-Denis, Florence Haye, attendent l’ouverture d’une seconde sous-préfecture de plein exercice à Saint-Denis, pour délester un peu la préfecture de Bobigny, engorgée. Le président PS du département, Claude Bartolone, demande une table ronde au préfet. « Les besoins de ce département populaire ne sont pas pris en compte. Il n’y a pas de reconnaissance de la situation de ceux qu’on veut rendre invisibles », a-t-il déclaré. Dehors, sur le bitume de Bobigny, le temps a passé. 8 h 30, la préfecture ouvre. Par groupe de quinze, les premiers arrivés commencent à entrer. Pour les autres, l’attente sera longue.

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