Les gauches antilibérales se fédèrent

Europe Doté d’une nouvelle direction, plus collégiale, conduite par le communiste français Pierre Laurent, le Parti de la gauche européenne aimerait sortir de l’anonymat.

Michel Soudais  • 9 décembre 2010 abonné·es
Les gauches antilibérales se fédèrent
© Photo : Michel Soudais

Dernière née des formations politiques européennes, le Parti de la gauche européenne (PGE) ou European Left, entend bien se faire entendre. À l’égal du Parti populaire européen, du Parti socialiste européen, du Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs ou du Parti vert européen. Mais à la différence de ces formations, dont l’activité tourne essentiellement autour du Parlement européen, le PGE, qui rassemble désormais 26 formations à la gauche des partis sociaux-démocrates, communistes ou non, d’une vingtaine de pays, n’entend pas limiter son action aux seules institutions de l’Union européenne. Il veut aussi être aux côtés des mouvements sociaux qui, sur tout le continent, à des degrés divers, contestent les politiques décidées à Bruxelles. Favoriser leur rassemblement, mais aussi être à l’initiative de campagnes communes.

Cette volonté s’est largement exprimée dans les interventions des 250 délégués qui ont participé à son troisième congrès, qui s’est tenu à La Défense du 3 au 5 décembre. Faire du PGE « un parti visible pour le combat commun » est l’objectif affiché de la nouvelle direction élue au terme de ce congrès. Pour le nouveau président du PGE, le communiste Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, « le temps est venu de passer à une nouvelle étape, celle de l’action » pour « changer la donne politique en Europe » , après six années durant lesquelles le PGE a dû se construire et s’élargir.

Le PGE a été créé tardivement, en 2003 à Paris, par 11 partis principalement communistes et qui, pour la plupart, étaient déjà liés par l’appartenance commune de leurs députés européens au groupe de la Gauche unitaire européenne-Gauche verte nordique (GUE/NGL). Alors que les problèmes politiques avaient une dimension européenne de plus en plus évidente et que les États, les patronats, les syndicats et les mouvements sociaux coordonnaient déjà leur réflexion et leurs actions au niveau européen, il n’existait pas d’espace politique commun aux formations de la gauche de gauche. C’est ce vide que le PGE a voulu combler en se fixant pour projet de construire un espace de travail, d’action commune et de solidarité entre « organisations et partis politiques de gauche européens, indépendants et souverains, qui ­travaillent sur la base du consensus » dans le but de résister aux politiques néolibérales et de proposer des alternatives en Europe.
Au fil des ans, sous les présidences successives de l’Italien Fausto Bertinotti (Rifondazione Comunista) et de l’Allemand Lothar Bisky (Die Linke), le PGE a développé les contacts entre ses partis membres et observateurs, divers dans leurs cultures, leurs traditions et les réalités politiques auxquelles ils sont confrontés. Il a favorisé la création de réseaux, dont celle du réseau Transform, une fondation qui regroupe 22 associations de 17 pays et édite une revue en 10 langues. Ce travail commun s’est traduit par l’adoption d’une plateforme aux élections européennes de 2009, ainsi que des campagnes communes contre le traité constitutionnel et le traité de Lisbonne, contre la précarité.

Ces actions et un fonctionnement très confédéral ont permis au PGE d’attirer de nouvelles organisations : il compte aujourd’hui 26 partis membres et une dizaine de partis observateurs. Le Front de gauche français y est particulièrement représenté puisque, après le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon et Martine Billard, l’adhésion de la Gauche unitaire de Christian Picquet au PGE a été acceptée en ouverture du congrès [^2]. Pierre Laurent doit d’ailleurs son élection à la présidence du PGE moins à son statut de numéro un du PCF qu’à l’intérêt suscité en Europe par ce Front de gauche. En témoignent plusieurs interventions de délégués regrettant la dispersion des forces de la gauche de la gauche dans de trop nombreux pays de l’Union européenne.

Élu pour trois ans, le secrétaire national du PCF va diriger le PGE avec une direction plus collégiale. Pour tenter de tenir compte des équilibres entre communistes et non-communistes, les statuts ont en effet été modifiés pour permettre l’élection de 4 vice-présidents au lieu d’un : Maïte Mola (PCE-Isquierda unida, Espagne), Marisa Matias (Bloco de Esquerda, Portugal), Alexis Tsipras (Synaspismos, Grèce) et Grigore Petrenco (Parti communiste de la République de Moldavie), siégeront dans cette nouvelle direction aux côtés de Pierre Laurent et d’un nouveau trésorier, Diether Dehm (Die Linke). Avec l’objectif affiché d’engager une nouvelle phase de développement de l’activité et du rayonnement de la Gauche européenne qui favorise « l’implication des adhérents » et non plus seulement des délégués des partis.
Ces derniers se sont dits convaincus lors du congrès du PGE que la coordination renforcée des politiques néolibérales, autoritaires et atlantistes imposées aux peuples de l’Union européenne leur impose de construire « des actions communes pour la résistance et l’alternative en Europe ». Le nouveau trésorier a ainsi promis d’ « investir l’argent » du PGE « non dans sa bureaucratie mais dans des campagnes électorales et des actions de terrain » . Quand le rejet des politiques d’austérité s’exprime de plus en plus, il s’agit de « renforcer l’action de la rue » , a expliqué Maïté Mola.

Celle-ci prendra notamment la forme d’une campagne militante européenne basée sur la possibilité ouverte par le traité de Lisbonne d’une « initiative citoyenne » (collecte d’un million de signatures) auprès de la Commission européenne. Cette pétition européenne préparée et présentée par Francis Wurtz, l’ancien président du groupe GUE/NGL, sera lancée au début de 2011. Elle proposera d’ouvrir un débat pour la création d’un « Fonds européen de développement social » pour financer des investissements publics qui « créent des emplois, développent la formation, la recherche, les infrastructures utiles » et qui protègent l’environnement. Ce fonds serait abondé par la taxation des mouvements de capitaux et par une réorientation des missions de la Banque centrale européenne (BCE). S’il n’y a aucune chance que la Commission donne suite à une telle pétition, le PGE escompte qu’elle lui permette de populariser ses propositions et le sorte de l’anonymat. Un anonymat renforcé par le silence médiatique sur son existence. Dimanche, la conférence de presse finale a été annulée, faute de… journalistes présents.

[^2]: À noter que la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase), dont plusieurs représentants étaient à La Défense, a demandé un statut d’observateur.

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