Contre-G20 à Nice

En marge du sommet qui débute ce jeudi à Cannes, un Forum des peuples a réuni des milliers de manifestants, dénonçant la folie de la finance.

Erwan Manac'h  • 4 novembre 2011 abonné·es

Rues barrées à chaque carrefour, canons à eau pointés vers la foule, hélicoptères tournoyant à basse altitude et équipes de la BAC en tenue de combat le long des devantures de banques. Les anti-G20 ont défilé mardi 1er novembre à Nice sous un imposant joug policier. Depuis des semaines, les pouvoirs publics et la presse locale ont entretenu une véritable psychose, au souvenir d’une fin de cortège agitée lors du rassemblement contre le traité européen de Nice en 2000. D’un point de vue médiatique, le Forum des peuples s’est réduit à une menace pure et simple pour l’ordre public…

Au terme d’une longue et glaciale négociation avec les collectivités locales, les organisateurs ont obtenu le droit de défiler dans le nord de la ville, loin du centre et des quartiers chics. En tête du cortège, Attac, Oxfam et le CCFD ont manifesté en musique et dans la bonne humeur contre les paradis fiscaux et pour la taxation des transactions financières. Ils ont été suivis en petit nombre par les syndicats et les partis politiques, qui tentaient d’alpaguer les riverains pointant des têtes amusées aux balcons.

« Nous en appelons au peuple niçois ! » , hurle une sono de la CGT. Fidèles à la coutume, deux petites centaines d’anarchistes, dont la présence avait tant fait fantasmer les Niçois, clôturaient le cortège. Au total, 6 000 à 8 000 personnes sont venues. Une affluence modeste.

« Entre les médias qui nous cassent et la répression violente et systématique des contre-sommets, un découragement s’installe , témoigne un militant grenoblois des Alternatifs. Certains camarades me l’ont dit, ils en ont marre de se faire casser la gueule. On est passé de l’État social à l’État autoritaire. Ce dernier a gagné une bataille. »

Au détour de la manifestation, l’enthousiasme est unanimement partagé devant la levée du mouvement citoyen planétaire des Indignés : « Ce qui est extrêmement positif, c’est de voir le ­foisonnement d’actions à travers le monde » , observe Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, derrière la banderole de tête. « Les revendications altermondialistes trouvent de plus en plus d’écho, car les conséquences des cures d’austérité sont les mêmes à travers la planète , renchérit d’une voix posée Franck Gaye, porte-parole du collectif qui a porté l’événement. Un mouvement politique se développe à nouveau, face à des gens qui sont usés, sans idées, accrochés à leur idéologie en bout de course. »

Derrière cette joie de circonstance, le constat est sans appel. « Nous n’attendons rien du G20. C’est même une démarche extrêmement dangereuse, tranche Aurélie Trouvé. Ce sont ses membres qui ont remis en scène le FMI, l’artisan des plans d’austérité. Ils laissent croire aujourd’hui à une régulation de la finance mais nous n’en espérons rien. Aucun résultat concret ne sortira de ce nouveau sommet. »

Armée d’une tarte aux légumes dans laquelle elle croque avec énergie, Isabelle Brachet parle au nom de l’organisation Peuples solidaires, qui a délégué à Nice une petite équipe, comme à chaque forum altermondialiste : « Le prix des aliments est aujourd’hui à peu près aussi haut que lors de la dernière crise alimentaire , rappelle-­t-elle. Les promesses faites en 2009 par les chefs d’État pour le soutien aux petits producteurs n’ont pas été tenues. C’est une revendication difficile à faire passer vu l’importance qu’ont prise les questions financières, mais il y a un lien à faire entre toutes ces préoccupations. Il en va de l’avenir du monde. »

À l’issue de la marche unitaire, les manifestants se sont réunis dans l’ancien abattoir de Nice. Un entrepôt discret bordé d’immeubles populaires, ceinturé pour l’occasion par un encombrant dispositif policier. Un concert a été organisé et les visiteurs brésiliens, grecs, tunisiens se sont exprimés. « Aux États-Unis, les Indignés se sont construits sur les cendres du mouvement syndical et ouvrier, et les étudiants subissent un endettement très important » , témoignait quelques heures plus tôt Isham Christie, New-Yorkais invité pour le Forum des peuples.

Durant trois jours, cette foule hétéroclite participera à des dizaines de débats et d’action militantes. Happening pour la taxe « Robin des bois », débat de rue sur la question alimentaire, opération « désinfection des banques », manifestation contre les paradis fiscaux à la frontière monégasque, baignade militante. Les organisations ont cherché à dépoussiérer leurs façons d’agir.
Des participants du monde entier sont aussi venus vivre un moment de convergence et de rencontre très politique. Mardi matin, une centaine d’autogestionnaires, principalement espagnols, organisent les actions du jour. Numéro d’avocat inscrit au marqueur sur l’avant-bras en cas d’interpellation, clope roulée au coin des lèvres, une Espagnole prend la parole, suivie de près par un traducteur de fortune : « Nous avons tous un problème avec Attac » , lance-t-elle, critiquant les positions trop réformistes de l’association et son organisation de l’événement jugée restrictive.

« Ne centrez pas trop vos reproches sur Attac, implore en réponse un organisateur accroupi contre un mur noirci par le temps. Nous sommes dans une des villes les plus à droite de France, nous avons eu beaucoup de mal à organiser ce sommet. » En dehors des anecdotiques conflits avec la frange radicale de la base militante, le collectif d’organisations a surtout dû composer, depuis un an, avec la lenteur et la mauvaise volonté du maire de Nice, Christian Estrosi, et du président du Conseil général, Éric Ciotti.

« Les collectivités ont freiné des quatre fers devant toutes nos sollicitations » , raconte Geneviève Legay, militante à la Fase et membre de l’organisation. « Nous sommes donc satisfaits d’avoir pu nous retrouver, ajoute Daniel Dalbera, militant en tenue du dimanche et ancien député PC de Paris entre 1973 et 1978. C’est enthousiasmant de nous voir réunis dans une ville qui représente, tout de même, un des premiers laboratoires du sarkozysme. »

Économie Monde
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