EELV-PS : à qui gagne perd ?

Après une semaine de confusion et de tensions, socialistes et écologistes ont finalement ratifié un accord pour 2012. Aucun bénéfice évident ne se dégage pour l’un et l’autre parti.

Patrick Piro  • 24 novembre 2011 abonné·es

Samedi 19 novembre, le conseil fédéral d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) [[« Parlement » du parti, composé de 150 délégués élus.] ratifiait par 74 % des voix l’accord mis au point avec les socialistes par ses négociateurs. Trois jours plus tôt, le bureau national du PS avait fait de même, avec une majorité encore plus large. Dénouement d’un épisode tendu, qui voit les deux partis dotés d’une plate-forme commune de trente pages, « la plus riche jamais obtenue » , commente un cadre écologiste. Une nette victoire pour les deux partenaires ? Voire…

Tout le monde est soulagé d’avoir évité de justesse un constat de désaccord sur toute la ligne. Un échec aurait frustré EELV, et l’aurait renvoyé au score de sa candidate Eva Joly à la présidentielle [^2]. Le PS aurait été accusé d’hégémonisme, ce qui lui a déjà coûté l’élimination de Lionel Jospin au premier tour en 2002.

L’examen du texte et les circonstances qui ont accompagné sa signature laissent cependant un sentiment ambivalent. Les socialistes n’ont presque rien lâché sur les questions de programme, mais ils ont cédé 63 circonscriptions législatives aux écologistes, dont près de 25 sont réputées gagnables en cas de victoire de François Hollande à la présidentielle, et 15 dans le cas contraire : quoi qu’il arrive, EELV obtiendrait un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale.

Des dents grincent chez les socialistes priés de faire place aux « invités ». À Paris, Bertrand Delanoë et sa dauphine Anne Hidalgo ont explosé en apprenant que la 6e circonscription (en or puisque la gauche y pèse plus de 60 %) allait être investie par la secrétaire nationale d’EELV, Cécile Duflot – un marchepied pour briguer la mairie en 2014 ? À Lyon, le maire Gérard Collomb s’irrite de voir débouler Philippe Meirieu, président du conseil fédéral d’EELV.
De plus, le PS s’engage à une réforme électorale que les écologistes attendent depuis longtemps : de 15 à 20 % des sièges de députés seraient attribués à la proportionnelle. Fraction qui reste à confirmer : elle réduirait mécaniquement le contingent socialiste d’une vingtaine de députés supplémentaires. Les écologistes se voient donc récompensés de leur percée politique, eux qui avaient fait jeu égal avec le PS aux européennes de juin 2009.

En revanche, ils ont été recalés sur leurs deux revendications phares : le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui ne sera pas abandonné ; le chantier du nouveau réacteur EPR, qui ne sera pas arrêté. Le PS n’entend pas sortir du nucléaire et s’en tient à l’engagement initial de François Hollande de réduire de 75 % à 50 % d’ici à 2025 la part du nucléaire dans la production d’électricité du pays.

Les compensations législatives valaient-elles ces renoncements d’EELV et l’engagement des écologistes à appeler à voter Hollande au 2e tour ? Le front du refus (24 %) fait valoir que les quelques acquis programmatiques (voir ci-contre) sont minimalistes et que la sincérité du PS est douteuse. « Quelle confiance après l’épisode du Mox ? , s’interroge Jérôme Gleize, de l’équipe des négociateurs. Nous faisons un pari très risqué. »

EELV voulait un accord coûte que coûte pour sauver le parti de la faillite, croit savoir le site marianne2.fr : le résultat en voix à la présidentielle et aux législatives fixant le montant des financements publics accordés, une disette de députés en 2012 aurait été catastrophique. Contre-attaque de la trésorière du parti : la situation difficile d’EELV n’est un mystère pour personne, l’hypothèse « non-accord », chiffrée, permettait d’assurer les échéances. En 2007, la situation financière encore plus fragile n’avait pas empêché les Verts de refuser de signer l’accord avec le PS.

Ne reculant devant aucun pataquès, le bureau national du PS, à la demande de François Hollande, a soustrait d’autorité un passage délicat du texte de l’accord pour en faciliter l’adoption. Ce paragraphe actait une « reconversion à emplois constants de la filière de retraitement et de fabrication du MOX » , combustible nucléaire extrêmement radioactif et toxique en raison du plutonium qu’il contient. Areva, le géant français du nucléaire, dont l’activité MOX représente près de 20 % du chiffre d’affaires, a reconnu avoir fait pression sur les socialistes… Les écologistes avaient obtenu, la veille de leur conseil fédéral, le rétablissement du paragraphe – enrichi il est vrai d’une « explication de texte » acceptable pour le PS : la fabrication de MOX diminuerait bien, mais en fonction du rythme de réduction de la production nucléaire (voir ci-contre). L’incident n’en demeure pas moins déplorable pour l’image de Hollande, perçu comme un valet du lobby nucléaire.

L’inquiétude immédiate pour EELV s’appelle maintenant Eva Joly. La candidate s’est mise une semaine au vert, « troublée » par l’attitude d’Areva – et du PS. Elle s’est également sentie en porte-à-faux avec la tactique de son parti, alors qu’elle professe sa conviction profonde qu’il faut sortir du nucléaire. Les cadres d’EELV ont suggéré à la candidate de ne pas se considérer comme engagée par cet « accord législatif » et d’agir « en complémentarité » . « Elle aura les mains libres pour défendre ses positions, en particulier sur le nucléaire… » , veut rassurer Denis Baupin, maire adjoint de Paris. Mardi 22 novembre, Eva Joly est repartie en campagne. On saura vite si le ressort est intact.

[^2]: Elle recueille actuellement entre 4 et 6 % des intentions.