« Montrer une justice qui est barbare »

Sandrine Ageorges-Skinner est à la fois militante abolitionniste et mariée à Hank Skinner, qui est sur le point d’être exécuté aux États-Unis. Elle témoigne de son expérience dans un film.

Jean-Claude Renard  • 4 novembre 2011 abonné·es

Dans les couloirs de la mort du Texas depuis 1995, condamné pour un triple meurtre pour lequel il clame son innocence, Hank Skinner, malgré de multiples recours, pourrait être exécuté le 9 novembre. Jordan Feldman a filmé le combat abolitionniste de sa femme, Sandrine Ageorges-Skinner [^2]. Une histoire qui dépasse l’intime pour toucher à l’universel.

Qu’est-ce qui vous a incité à participer à ce film ?

Sandrine Ageorges-Skinner : J’ai refusé beaucoup de propositions, notamment de journalistes qui voulaient plutôt faire du reportage, avec forcément une part de sensationnel, ce qui ne m’intéressait pas du tout. Le documentaire présente une autre approche. J’avais surtout envie de témoigner, de montrer un visage de la peine de mort dont on ne parle pas souvent, celui des femmes de condamnés à mort. Et j’avais envie d’un regard que je ne pouvais pas avoir, éviter de tomber dans trop de détails, je voulais un regard neuf.

Comment ça s’est passé ?

Être face à la caméra n’a pas été évident, mais Jordan Feldman a tourné avec un appareil photo numérique très discret qui permet la vidéo. C’est une caméra invisible, je ne me rendais même pas compte de sa présence et j’avais l’impression de poursuivre une conversation avec le réalisateur.
À partir du film, quel rôle peuvent jouer les médias dans cette cause ?
C’est un témoignage. Et, à ce titre, il me semble que les médias pourraient réfléchir au choix de leurs sujets, à leur discours. Au moment de l’exécution de Troy Davis, en septembre dernier, on a reproché aux abolitionnistes de préférer les « bons » condamnés à mort aux « mauvais » condamnés à mort. Ce qui est faux. On ne défend pas moins les coupables. En réalité, ça n’intéresse pas les médias, ni personne.
Ce film est aussi l’occasion de montrer une Amérique que les gens n’imaginent pas : la justice américaine est une justice barbare. Et le meilleur moyen de le raconter, c’est de le montrer.

Où en sont les dernières procédures ?

Nulle part, c’est le vide. Sur la demande des tests ADN, sur la demande de sursis. Nous n’avons aucun retour du juge, pas même une indication, sachant que le dossier de Hank est chez un juge qui a déjà signé quatre mandats d’exécution et refusé deux fois les tests ADN. Or, la nouvelle loi promulguée cet été simplifie les critères d’accès aux tests ADN, ce qu’on demandait depuis des années. À vrai dire, pour la Cour d’État, quels que soient les résultats, les tests ADN ne changeront rien à leur idée de culpabilité.

Quelle est la signification de ce film pour vous, aujourd’hui ?

C’est un épisode de ma vie important, comme pour la fille de Hank. Cela a été l’occasion de se rappeler des moments dont on ne se souvenait plus. Curieusement, ce ne sont pas les choses difficiles qu’on avait oubliées mais les bons moments, les belles choses. C’est donc un témoignage pour l’extérieur et une mémoire.

J’ai toujours voulu séparer ma vie privée de la cause abolitionniste, refuser d’utiliser l’un pour l’autre. C’est la raison pour laquelle, pendant longtemps, je n’ai pas dit que j’étais mariée à Hank Skinner. Non parce que je me cachais, mais parce que je me protégeais, et voulais surtout protéger Hank, dans mon travail d’abolitionniste. Quand les choses ont été dites, il m’a fallu faire un compromis entre ma vie personnelle et les médias.

[^2]: Hank Skinner et Sandrine Ageorges, militante abolitionniste, se sont rencontrés en 2000, après une longue correspondance, et mariés en 2008. En 2009, un mandat d’exécution était signé pour le 24 février 2010, annulé pour vice de forme et reporté au 24 mars. Ce jour-là, 35 minutes avant l’exécution, un sursis illimité a été prononcé par la Cour suprême américaine. Une nouvelle date d’exécution a été fixée au 9 novembre 2011.

Médias
Temps de lecture : 4 minutes