Hollande, combativité nouvelle

Pour son premier meeting important, le candidat a réussi son examen rhétorique, chassant habilement sa réputation de « mollesse ».

Michel Soudais  • 26 janvier 2012 abonné·es

Illustration - Hollande, combativité nouvelle

La foule militante des meetings socialistes, ardente et bruyante, était dimanche au Bourget. De toute la France, les secrétaires de section du PS, dont l’assemblée annuelle s’était tenue le matin, et des milliers de militants et de sympathisants[^2] s’étaient donné rendez-vous pour ce qui était annoncé comme le premier vrai discours d’entrée en campagne de François Hollande. Seul sur une grande scène cernée de gradins, dans un hall d’exposition transformé en chaudron, le candidat a fait le job. Une heure trente durant, souvent interrompu par les applaudissements et encouragements de ses supporters, il a présenté sa façon de « présider la République » . Raconté son parcours. Mais aussi placé « l’égalité » au cœur de son projet de réenchantement du « rêve français » .

Pour son grand oral, à quatre-vingt-dix jours du premier tour de l’élection présidentielle, le député de Corrèze s’est d’abord efforcé de montrer comment « tout dans [sa] vie » l’avait « préparé à cette échéance   ». De son « enfance en Normandie dans une famille plutôt conservatrice » – gommant toute référence au lycée de Neuilly-sur-Seine ou à l’engagement politique de son père à l’extrême droite – à sa victoire aux primaires, François Hollande a rappelé qu’il n’avait « pas reçu la gauche en héritage » mais l’avait « choisie » , et même  « aimée » et « rêvée avec François Mitterrand » . Utilisant une ficelle rhétorique de l’ancien président de la République, il a confié à la salle « son secret » , un « secret gardé depuis longtemps »  : « J’aime les gens, quand d’autres sont fascinés par l’argent. » Effet garanti dans le public, qui a reconnu dans ces « autres » Nicolas Sarkozy.

Multipliant le recours à la première personne, ce qui n’était jusque-là pas fréquent, pour parler de lui – « je veux conquérir le pouvoir mais je ne suis pas vorace », « je n’aime pas les honneurs, les protocoles et les palais », « je suis un optimiste de la volonté » … –, François Hollande n’a pas nommé une seule fois le président de la République, son rival. Pourtant, il en a souvent été question. Notamment quand, évoquant sa conception de la fonction, le candidat du PS a déclaré : « Présider la République, c’est refuser que tout procède d’un seul homme, d’un seul raisonnement, d’un seul parti qui risque de devenir un clan. » Mais, soupçonné par la gauche de gauche de se contenter de surfer sur l’anti-sarkozysme, le député de Corrèze s’est choisi un autre adversaire que le champion de l’UMP, présenté sous le sceau de la confidence : « Dans cette bataille qui s’engage, mon véritable adversaire n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. » La formule, belle trouvaille testée trois jours auparavant à Nantes (voir p. 24), marque les esprits et claque comme un démenti à ceux qui lui reprochent d’incarner une gauche pas assez combative.

Afin d’ « affronter la finance sans faiblesse mais sans irréalisme » , François Hollande entend en premier lieu faire voter « une loi sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités de crédit de leurs opérations spéculatives » . Si la mesure, qui est un retour à une situation qui existait jusque dans les années 1980, fait relativement consensus, elle peut prendre deux formes : la séparation stricte ou la filialisation. Consensuelle aussi, l’interdiction pour les banques françaises d’être présentes dans les paradis fiscaux, déjà en partie effective.

Autres mesures : l’interdiction « pure et simple   » des « produits financiers toxiques, c’est-à-dire sans lien avec les nécessités de l’économie réelle » , et l’interdiction des stock-options. La première, absente dans le projet du PS, est empruntée au programme du Front de gauche, la seconde va plus loin que la seule taxation souhaitée par le PS.

Le candidat promet également une « une véritable taxe sur les transactions financières » , qui ne se contente pas, comme s’apprête à le faire le gouvernement, de rétablir l’impôt de bourse supprimé en… janvier 2008 ; celle-ci serait mise en place non dans toute l’Europe, mais « avec ceux qui la veulent   » au sein de l’Union. Enfin, il défend la création d’une agence publique de notation européenne, un projet refusé par la Commission européenne, mais porté par la gauche et les écologistes.

Le combat contre la finance n’est pas le seul sujet sur lequel François Hollande a présenté des propositions formelles, sans attendre la grande conférence de presse programmatique prévue ce jeudi. Ce rendez-vous permettra ­toutefois au candidat d’en préciser certaines et de répondre aux premières interrogations qu’elles suscitent.

Au chapitre institutionnel, François Hollande s’est prononcé en faveur d’une réduction « de 30 % des indemnités du Président et des membres du gouvernement » , et d’un élargissement des droits du Parlement. Il promet d’introduire « le non-cumul des mandats pour les parlementaires, une part de proportionnelle à l’Assemblée nationale, la parité dans l’exercice des responsabilités et le droit de vote des étrangers aux élections locales » . Promet encore d’ « engager un nouvel acte de la décentralisation » , sans dire au juste ce qu’il entend par là. Et veut inscrire « la loi de 1905, celle qui sépare les Églises de l’État dans la Constitution » . Si la mesure ravit tout auditoire socialiste, sa faisabilité est pour le moins problématique : elle remettrait en cause le concordat qui régit les relations entre les cultes et l’État en Alsace et en Moselle – dans ces départements, la loi de 1905 n’est pas appliquée, et l’État subventionne les cultes catholique, protestant et israélite, et salarie leurs ministres du culte –, ainsi que le régime en vigueur en Guyane.

François Hollande s’est montré en revanche moins disert sur l’emploi, dont il envisage de traiter essentiellement « les urgences » , et surtout le pouvoir d’achat. Tout à sa volonté de « redresser les finances » , le candidat du PS entend commencer son quinquennat par « des réformes de structure » – réforme fiscale, pacte éducatif, décentralisation… – avant d’envisager de « redistribuer ce que nous aurons créé, ce que nous aurons fabriqué, ce que nous aurons engagé, ce que le pays aura pu, par son ­redressement, favoriser ». « Le changement, c’est maintenant ! » , clame son slogan ; pour le partage des richesses, on verra plus tard.

Le député de Corrèze n’a pas renoncé à la rigueur, à laquelle il annonçait il y a quelques semaines vouloir « donner du sens » : « Toute nouvelle dépense [de l’État] sera financée par des économies, le nombre total de fonctionnaires n’augmentera pas » , annonce-t-il, avalisant de fait les 170 000 suppressions de postes de Nicolas Sarkozy. Il affirme vouloir en finir avec « la règle aveugle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite » , mais quand il précise au Monde, le 18 janvier, comment il générerait 60 000 postes en cinq ans dans l’Éducation nationale, il laisse entendre qu’il ne remplacera pas trois départs en retraite sur dix : il y a « 60 000 départs à la retraite dans la Fonction publique d’État. 30 000 ne sont pas remplacés aujourd’hui. C’est sur cette enveloppe que nous prendrons les 12 000 postes. » François Hollande a encore des efforts à faire pour clarifier son programme.

[^2]: Après avoir annoncé 25 000 participants dimanche, les organisateurs évoquaient près de 20 000 militants lundi. Si 10 000 personnes assistaient bien au meeting « live » dans le hall du parc des expositions du Bourget, il est difficile de juger du nombre de ceux qui n’ont pu le suivre que sur des écrans dans un hall annexe. Le discours était aussi retransmis en direct sur LCP.

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Un air de gauche
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