«C’est dégueulasse»

En réagissant aux propos du FN sur « l’IVG de confort », Pascale Clark pose la question du rôle du journaliste.

Jean-Claude Renard  • 15 mars 2012 abonné·es

Mercredi 7 mars, 7 h 50. Vice-président du Front national, Louis Aliot entame son prêche sur l’immigration, « un phénomène global qui ne se réduit pas au nombre d’immigrés présents légalement sur le territoire national, il y a aussi tout le problème des clandestins, de l’insécurité qui en est la conséquence » .

Au micro de Pascale Clark, cette interview de six à sept minutes dans la «  matinale  » de France Inter se poursuit sur les propositions de Nicolas Sarkozy, relativement proches du programme du Front national, puis sur les parrainages, et enfin sur le déremboursement de l’IVG « en cas de choix budgétaire » , prôné par Marine Le Pen. Louis Aliot corrige : « Marine Le Pen a parlé des femmes qui utilisent l’IVG comme moyen contraceptif. Nous pensons que, dans notre société, l’IVG peut être évitée. L’avortement qui consiste à remplacer les moyens de contraception n’est pas admissible. »

Pour la journaliste, cela signifie que « certaines femmes ne pourront assumer le coût financier d’une IVG » . Aliot réplique en rappelant que beaucoup de personnes âgées n’ont pas accès aux soins médicaux. C’est donc « un choix budgétaire » . Clark dénonce alors l’expression d’ « IVG de confort » employée par un professeur de médecine, que reprend le FN. Pascale Clark lâche le mot : « C’est dégueulasse. » Et le répète deux fois.

Voilà de quoi s’interroger. À partir de quel moment un journaliste du service public (ou pas) a-t-il le droit, voire le devoir, de dire à un politique, en l’occurrence un élu de la République ­d’extrême droite, « c’est dégueulasse »  ? La réaction de Pascale Clark peut être considérée comme légitime. C’est un cri du cœur. Elle aurait pu aussi demander à Louis Aliot ce qu’il y a de confortable dans une interruption volontaire de grossesse, s’il s’était déjà rendu au Planning familial ou interrogé sur ces budgets de santé. Elle aurait pu aussi condamner ces propos par un adjectif comme « honteux » , au regard de l’histoire, de l’émancipation des femmes.

Quelques heures plus tard, sur Canal +, au « Petit Journal » de Yann Barthès, Pascale Clark maintenait ses propos, renchérissant : « Je n’ai pas l’impression de sortir davantage de mon rôle que les journalistes qui partent en vacances avec des gens puissants. » Clin d’œil appuyé à Laurence Ferrari – qui, au demeurant, devant Marine Le Pen, n’avait pas réagi sur la question du déremboursement de l’IVG. Pascale Clark avait déjà eu des interviews musclées avec Robert Ménard, Gilbert Collard et Jacques Cheminade. Mais ni face à eux, ni face aux idées de Lionnel Luca, par exemple, ou de Thierry Mariani, elle n’avait dit « c’est dégueulasse » . Elle aurait pu.

Au bout de ces conditionnels passés, reste que l’on peut apprécier, que l’on doit saluer largement une réaction qui s’inscrit loin d’un journalisme passe-plat, très fréquent sur tous les plateaux de radio et de télévision, qui opine du chef, passe à la question suivante, opine du chef à nouveau. Sortir de son rôle ne fait-il pas précisément partie de celui-ci ? Jusqu’à dire parfois « c’est dégueulasse » .

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