Scission nucléaire au Japon

L’opinion ne relâche pas sa pression anti-atome, l’industrie se plaint du renchérissement de l’énergie.

Patrick Piro  • 12 avril 2012 abonné·es

Un an après la catastrophe du 11 mars 2011, l’hypothèse d’une marginalisation de la filière nucléaire, voire de son abandon, gagne en crédibilité au Japon. Le nouveau gouvernement, en place depuis l’automne, s’était bien gardé de reprendre à son compte les élans « personnels » de Naoto Kan, Premier ministre lors de la catastrophe, qui disait aspirer à une société japonaise libérée de l’atome. Pourtant, le ministre de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, Yukio Edano, tient depuis quelques jours des propos très similaires : « La politique du gouvernement consiste désormais à abaisser le plus bas possible la dépendance au nucléaire. […] J’aimerais pour ma part que le pays puisse s’en passer totalement le plus tôt possible. »
Venant du numéro deux du gouvernement, à la tête du plus puissant des ministères, et l’un des politiques actuellement les plus en vue du pays, ces affirmations pèsent particulièrement lourd. Cependant, elles pourraient n’avoir pour véritable raison que de faciliter, auprès de l’opinion publique, l’acceptation de la remise en route de deux des quatre réacteurs de la centrale d’Ohi (côte ouest), fermés à la suite de l’accident de Fukushima.

Il ne reste actuellement plus qu’un seul réacteur japonais en service, sur les 54 que comptait le parc avant le 11 mars 2011. Dix-huit ont été arrêtés à la suite du séisme et du tsunami, et les autres l’ont été successivement depuis, pour des opérations de maintenance et des tests de résistance à des aléas du type « Fukushima ». Aucun n’a obtenu à ce jour son autorisation de redémarrage mais les réacteurs d’Ohi ont passé les tests avec succès.
Le gouvernement joue une partie fort délicate. Le monde industriel, très pro-atome, se plaint du renchérissement de l’énergie. Alors que la filière nucléaire comptait pour 30 % dans la production d’électricité, le pays a réduit sa consommation mais a remis en route des centrales à fioul et à gaz, ce qui a provoqué un bond des importations de combustibles. Redémarrer quelques réacteurs allégerait cette contrainte économique et industrielle, quitte à défendre l’idée d’un futur avec un nucléaire marginal.

Car l’opposition des Japonais à l’atome ne faiblit pas. Une large majorité – de l’ordre des trois quarts de la population – appuie une sortie « progressive » de la filière. Le Premier ministre, Yoshihiko Noda, se montre très attentif à cette pression de l’opinion : il pourrait bien déclencher des élections législatives anticipées cet été (elles sont prévues pour 2013) afin d’enrayer la montée d’une impopularité alimentée par les projets de révision de la fiscalité, mais aussi par les griefs persistants sur la gestion de la catastrophe de Fukushima – populations toujours déplacées, indemnisations retardées, mauvaises nouvelles de la centrale…

Après vingt-cinq ans de mobilisation, les opposants fêtent leur victoire depuis une semaine : le gouvernement bulgare a renoncé à construire la centrale nucléaire de Béléné, prévue sur un site sismique. C’est la deuxième fois, et peut-être la bonne, après un coup d’arrêt en 1992, en raison de risques environnementaux et de la dépression post-communiste. Mais le projet avait ressuscité en 2002. La sanction de 2012 est économique : la Bulgarie est dans l’incapacité de régler une facture qui a fortement gonflé. Le retrait de l’industriel allemand RWE et de la banque française BNP, notamment sous la pression de l’association les Amis de la Terre, a porté des coups fatals au projet.

Un homme en particulier menace le gouvernement, jouant à fond de ces circonstances : c’est Toru Hashimoto, populaire maire d’Osaka et fondateur d’un nouveau parti qui entend s’imposer sous la bannière antinucléaire. Sa ville, la troisième du Japon, est le premier actionnaire de la Kansai Electric (avec 9 % des parts), propriétaire de la centrale d’Ohi… Le conseil municipal a d’ailleurs récemment voté un vœu demandant à l’électricien de renoncer au nucléaire. Son avis n’est pas formellement requis par la procédure de remise en marche des réacteurs, mais le gouvernement a toujours dit qu’il ne passerait pas en force.

Selon un sondage réalisé fin mars, 55 % de la population est opposée au redémarrage des centrales, contre seulement 32 % d’avis favorables !
Jusqu’à présent, le gouvernement n’est guère parvenu à amadouer l’opinion. Début avril, il devait ­présenter l’architecture d’une nouvelle autorité de sûreté nucléaire, désormais indépendante. La précédente s’est trouvée au centre des critiques de laxisme envers l’industrie. Mais l’annonce a été repoussée, en raison de différends politiques, et le gouvernement a hâtivement produit, pour compenser, de nouvelles normes conditionnant le redémarrage des réacteurs, plus exigeantes que ses audits post-Fukushima.

Rien n’indique que cette concession, immédiatement incendiée pour son opportunisme par Hashimoto, pourrait produire son effet à la centrale d’Ohi avant le 5 mai. À cette date, l’ultime réacteur japonais encore en service s’interrompra pour un arrêt de maintenance : un symbole fort, et une victoire psychologique que les opposants de l’atome ne manqueront pas d’exploiter.
C’est ainsi un Japon à production nucléaire nulle qui aborderait les prochaines étapes décisives Fin juin, alors que le rapport officiel définitif sur les circonstances de la catastrophe de Fukushima sera rendu, le gouvernement doit ­présenter sa nouvelle politique énergétique. Les cabinets étudient des scénarios ­prévoyant une part du nucléaire comprise entre zéro et 35 % à l’horizon 2030 (contre 50 % avant l’accident).

Avec ses déclarations (non contredites), Yukio Edano indique que c’est l’option minimaliste qui tient la corde. Mais en se braquant sur le redémarrage d’Ohi, l’électorat pourrait bien provoquer l’extinction nucléaire dès le 5 mai. Le pays traverserait alors l’été sans nucléaire, alors que la consommation d’électricité atteint des sommets annuels en raison de l’usage généralisé des climatiseurs.

Écologie
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