À contre-courant / Quel traité après le 6 mai ?

Liêm Hoang-Ngoc  • 3 mai 2012 abonné·es

Incapables de réduire leurs déficits, de nombreux États européens ont l’œil rivé sur la présidentielle française, espérant en silence une renégociation du traité d’austérité. Le Président de la BCE, Mario Draghi, a annoncé la nécessité d’un pacte de croissance. Celle-ci a assoupli sa politique monétaire en abaissant son taux directeur. Elle a prêté mille milliards à taux réel négatif aux banques dans l’espoir qu’elles achètent des emprunts d’État à bas taux, sans se soucier de « l’aléa moral » par lequel les banques ont pu spéculer avec l’argent prêté. Pour Mario Draghi, cette politique monétaire sera de nature à ruisseler dans l’économie réelle si elle est accompagnée des « réformes structurelles » (austérité budgétaire et salariale, ouverture à la concurrence) prônées par la Commission et le Conseil.

Les politiques d’ajustement structurel sont malheureusement en passe de faire replonger la zone euro dans la récession. L’investissement est insensible à la politique monétaire et au coût du travail. Il dépend avant tout d’une demande désormais atone, expliquant la faiblesse de la demande de crédit des entreprises.

Dans ces conditions, il est aberrant de se priver de la politique budgétaire, indispensable pour engager les politiques d’investissements nécessaires au redéploiement de l’économie, notamment autour du développement durable. Hélas, les droites britannique et allemande bloquent aujourd’hui toute possibilité d’étendre les perspectives financières de l’Union. La Banque européenne de l’investissement pourrait financer des projets lancés par les États. Mais le volume de ses prêts serait vraisemblablement limité par l’interdiction faite aux États de s’endetter pour investir.
On nous objecte déjà que les caisses sont vides, que les marchés spéculeraient contre toute politique de relance, et que la consolidation budgétaire est la mère de toutes les alternatives.

Ce débat rappelle celui qui opposa Keynes au Trésor britannique en 1929. Keynes expliquait que la politique monétaire serait insuffisante. Pour enfoncer le clou contre l’orthodoxie budgétaire régnante, il proposait d’établir une distinction entre le budget de fonctionnement de l’État et son budget d’investissement. Il disait que le budget de fonctionnement devait être équilibré, mais que les investissements publics, ayant un impact sur la croissance, pouvaient faire l’objet d’emprunts, notamment dans le cadre de politiques anticycliques. C’est la proposition qu’a défendue Mario Monti lorsqu’il était commissaire. Nombre d’eurodéputés l’incarnent aujourd’hui à travers la proposition d’exclure les investissements publics du calcul des déficits.

Cette proposition constitue une alternative immédiate à la règle de plomb d’équilibre budgétaire, et libérerait des marges de manœuvre pour engager des politiques progressistes. Si celles-ci devaient affronter la spéculation des marchés, la meilleure parade serait de permettre à la BCE de garantir la dette publique. Un premier pas consisterait à accorder une licence bancaire au Mécanisme européen de stabilité afin qu’il puisse se refinancer auprès de la BCE pour accorder à bas taux des prêts souverains. Telles sont les revendications minimales, immédiates et « crédibles » que pourraient porter ceux qui auront en charge la renégociation du traité d’austérité.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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