Un parfum fiscal d’Ancien Régime

Alors que la Révolution projetait de faire participer chaque citoyen à la solidarité nationale selon sa faculté contributive, les « premiers de cordée » ne veulent aujourd’hui plus payer pour leurs « sherpas ». Pour les gauches appelées à s’unir, la réforme fiscale sera la mère des batailles.

Liêm Hoang-Ngoc  • 25 juin 2025
Partager :
Un parfum fiscal d’Ancien Régime
"Réveil du tiers état", gravure anonyme, Paris, musée Carnavalet, vers 1789.
© Domaine public

La campagne simultanément orchestrée à l’encontre de la taxe Zucman et en faveur de la «  TVA sociale » dégage un parfum fiscal d’Ancien Régime. En ces temps, les classes privilégiées ne payaient pas l’impôt. Elles étaient caractérisées, d’un point de vue économique, par la détention d’actifs fonciers, à l’origine de la rente foncière, prélevée par l’impôt acquitté par le seul Tiers État. Lors des États généraux, l’un des impôts les plus décriés était la gabelle, ancêtre de l’actuelle TVA, frappant les individus au premier centime dépensé.

Sur le même sujet : Dossier : taxer les riches, l’évidence morale face à la lâcheté politique

De nos jours, les nouvelles classes dominantes peuvent être définies par la détention d’actifs financiers, à l’origine de la rente financière, matérialisée par les dividendes prélevés sur la plus-value (au sens de Marx) engendrée par les travailleurs. Leur dessein est désormais de faire sécession quant au financement de la dépense publique, synonyme de socialisme. Tel est le sens du procès de la dépense publique, prononcé en agitant l’épouvantail de la dette publique, dont la sécession fiscale des classes riches est, hier comme aujourd’hui, la première cause.

L’impôt payé par les 1 800 premières fortunes de France ne représente que 27 % de leur revenu.

Alors que la Révolution projetait de faire participer chaque citoyen à la solidarité nationale selon sa faculté contributive, les « premiers de cordée » ne veulent plus payer pour leurs « sherpas ». Si ces derniers veulent une protection sociale, ils devront souscrire à des fonds de pension, comme tout bon capitaliste qui acquiert des actions, ou ils devront la financer par un impôt sur leur propre consommation, la TVA. Or la TVA est l’impôt le plus injuste.

Sur le même sujet : La TVA n’est pas sociale

Il n’est pas progressif et, contrairement aux travailleurs qui dépensent tout leur revenu car ils sont trop pauvres pour épargner, les capitalistes ne consomment qu’une plus faible part de leur fortune. La « TVA sociale » leur permet de surcroît de supprimer la part du salaire socialisée dans les caisses de sécurité sociale que représentent les cotisations sociales, celles-ci étant accusées de plomber le « coût du travail » et donc de réduire les profits sur lesquels sont prélevés les dividendes.

La taxe Zucman entendait mettre fin à cette anomalie que constitue la dégressivité de l’impôt républicain en haut de l’échelle des revenus.

Grâce à la flat tax sur les revenus du capital, ces derniers ne sont plus assujettis au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Avant même la suppression de l’ISF, exonérant d’impôt la détention de titres, la majeure partie du patrimoine financier des capitalistes, placée dans leurs holdings familiales, en était déjà exonérée, car une niche fiscale considère celles-ci comme des biens professionnels.

Voilà pourquoi l’impôt (tous prélèvements compris) payé par les 1 800 premières fortunes de France ne représente que 27 % de leur revenu, alors que le taux de prélèvement obligatoire moyen est proche de 50 %. En taxant 2 % des patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (avec un rendement de 20 milliards), la taxe Zucman entendait mettre fin à cette anomalie que constitue la dégressivité de l’impôt républicain en haut de l’échelle des revenus.

Sur le même sujet : Défaire la ploutocratie

La réforme de la fiscalité du capital, symbolisée par la flat tax, la suppression de l’ISF, la baisse de l’impôt sur les sociétés et la baisse des impôts de production a été exécutée par le gouvernement conformément au mandat confié en 2017 par l’Association française des entreprises privées. Elle n’est pas étrangère à la baisse du rendement de l’impôt et à la persistance du taux d’endettement public à un niveau élevé. Pour les gauches appelées à s’unir, la réforme fiscale sera donc la mère des batailles, que devra porter leur futur programme économique en commun.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don