Islande : le petit pays qui a dit non

Candidate à l’Union européenne, l’île a été la première victime de la crise de 2008. Mais les citoyens ont refusé de payer la note. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Thierry Brun  • 17 mai 2012 abonné·es

L’Islande, pays nordique sous les feux de l’actualité quand l’un de ses volcans se réveille et paralyse le trafic aérien en Europe, île lointaine qui regorge de sites touristiques, terre des elfes et des trolls… Et un exemple à suivre pour les pays de la zone euro ?

Même si elle a peu de points communs avec les puissantes économies européennes, l’île de 320 000 habitants suscite un regain d’intérêt en France depuis qu’elle est sortie d’une crise bancaire et financière spectaculaire qui l’avait conduite au bord de la faillite. Car le pays a fait le choix de l’annulation d’une partie de sa dette, un acte politique qui lui a évité l’échec et le caractère profondément antisocial des politiques d’austérité menées ailleurs dans la zone euro.

Cette expérience islandaise est « riche d’enseignements », estime l’économiste Dominique Plihon dans une des récentes études publiées par des économistes contestant l’orthodoxie budgétaire prônée en Europe (voir encadré).

Comparé au marasme européen ambiant, le redressement de l’économie islandaise fait figure de miracle. Les données des institutions internationales sont éloquentes : la petite économie islandaise (une dizaine de milliards d’euros de PIB), membre du très libéral Espace économique européen, mais hors de la zone euro, a terminé l’année 2011 avec une croissance de 3,1 %. Selon les prévisions de la Commission européenne, le taux de croissance du pays devrait se maintenir à un niveau élevé en 2012 par rapport à celui attendu dans l’Union européenne. Et la prévision pour 2013 fait rêver : la croissance devrait atteindre 2,7 %.

Pays le plus pauvre d’Europe il y a seulement soixante-dix ans, l’Islande se trouvait, jusqu’à la crise financière mondiale de 2008, parmi les pays les plus riches du monde, classée au sixième rang des pays de l’OCDE et dotée d’un indicateur de développement humain (IDH) très élevé (17e rang). L’île a cependant subi durement les conséquences de la crise. La croissance a chuté : alors qu’elle était passée de 5 à 8 % de 2004 à 2007, elle n’est plus qu’entre 2 et 3 % depuis 2010. Le taux de chômage y est élevé (7,6 % en 2011) alors qu’il plafonnait autour de 2 % avant la crise. Et la dette publique islandaise a explosé après la crise financière de 2008 (92,9 % en 2010) avant de baisser progressivement. Autre effet de la crise, l’Islande a entamé un processus de réforme constitutionnelle développant la démocratie directe. T. B.
Certes, « le chômage est préoccupant et touche plus de 7 % des actifs, mais il est en diminution progressive, et la balance commerciale est restée positive depuis que la couronne islandaise a dévissé », souligne Michel Sallé, ­spécialiste de l’Islande[^2]. « C’est sans compter le nombre d’Islandais qui ont quitté le pays. Beaucoup de jeunes sont partis pour la Norvège », relativisent Yvette et Mike Krolikowski[^3]. « Le niveau de vie a chuté d’environ 30 % dans les deux années qui ont suivi la crise, rappelle Michel Sallé, mais la situation s’améliore. En comparaison, il reste supérieur à celui des Français. »

Récemment, les Islandais se sont offert le luxe d’anticiper le remboursement de leur dette de 1,25 milliard d’euros, contractée auprès du FMI. Un reliquat destiné à faire face à l’effondrement en 2008, à la suite de l’onde de choc internationale causée par la faillite de la banque américaine Lehmann Brothers et des trois mégabanques privées (Kaupthing, Glitnir, et surtout Landsbanki à travers sa filiale Icesave), dont les activités étaient hautement spéculatives. En tout, la dette cumulée laissée par ces banques s’élevait à dix fois le PIB du pays !

L’Islande a pourtant échappé au chaos. Le gouvernement, issu d’une alliance social-démocrate associée à la Gauche verte, s’est donné de l’air en utilisant une méthode qui défie l’orthodoxie économique. Le pays a temporairement nationalisé ses trois banques privées, a dévalué sa monnaie et, surtout, après deux référendums, a refusé de payer la dette des banques privées.

« Les grandes banques ont été mises en ­liquidation, les créanciers ­assumant les risques en n’étant remboursés qu’à hauteur des actifs disponibles », résume Dominique Plihon. Et, malgré la pression mise par les principaux pays créanciers (Royaume-Uni et Pays-Bas), ainsi que par l’UE et le Fonds monétaire international, « le plan d’ajustement négocié initialement a été rejeté et remplacé par un accord beaucoup plus favorable à l’Islande, se traduisant par un rééchelonnement significatif de la dette et par des taux d’intérêt plus bas ». Ces éléments, combinés au fait que l’Islande a pu procéder à une forte dévaluation de sa monnaie, lui ont permis de sortir rapidement de la crise après une brève récession.

Le pays n’a pas pour autant effacé totalement la dette des banques privées. « Dans le dossier Icesave, on ne sait pas pour l’instant ce que les Islandais devront rembourser et avec quels taux d’intérêt. C’est une épée de Damoclès », souligne Michel Sallé. Britanniques et Néerlandais ont en effet traîné l’Islande devant la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange, et l’Union européenne a annoncé qu’elle sera partie prenante au procès. Reste que, pour Dominique Plihon, cette expérience islandaise montre que « seules la résistance populaire et les luttes sociales pourront conduire à l’abandon des politiques d’austérité » dans la zone euro.

A lire :

– -« Deux expériences de sortie de crise : Argentine et Islande, quelles leçons pour les pays européens ? », Dominique Plihon, Les Temps nouveaux n° 4, février 2012.

–20 ans d’aveuglement, l’Europe au bord du gouffre, Les économistes atterrés, éditions Les liens qui libèrent, 2011.

-AAA, audit, annulation, autre politique, Damien Millet, Éric Toussaint, éditions du Seuil, 2012.

[^2]: Michel Sallé est docteur en science politique et auteur d’une thèse sur l’Islande contemporaine. Il est membre de l’association France-Islande et publie régulièrement des « chroniques islandaises ».

[^3]: « Islande : Non et encore non ! », Yvette Krolikowski, Mike Krolikowski et Damien Millet, CADTM, 11 avril 2011.

Temps de lecture : 5 minutes