Gaza, ou le récit d’une descente aux enfers

Un ouvrage d’histoire sur l’étroit territoire palestinien, qui bat en brèche les préjugés.

Denis Sieffert  • 7 juin 2012 abonné·es

La bande de Gaza a mauvaise réputation. Ce mince territoire palestinien pris entre une mer interdite à ses pêcheurs et le rocailleux désert du Néguev, emmuré entre Israël et l’Égypte, est regardé avec une sainte terreur par l’œil occidental. C’est le « pays du Hamas ». Le « foyer du terrorisme ». Et, qui plus est, une concentration démographique d’un million et demi d’âmes sur 360 km2. L’endroit est si inhospitalier qu’Ariel Sharon en a sorti en 2005 les quelque huit mille colons dont la présence imposait à Israël une vigilance de tous les instants en pays hostile. Si bien que l’État hébreu n’a plus rien à faire avec ces Palestiniens-là, sinon les bombarder de temps à autre. Voilà pour les préjugés. La réalité que nous donne à voir l’historien arabisant Jean-Pierre Filiu est évidemment tout autre. Dans son Histoire de Gaza, il nous montre d’abord un pays façonné par des strates culturelles innombrables. Les Égyptiens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs, les Séleucides, les Hasmonéens, les Romains, les Croisés, et même les Mongols et les Ottomans l’ont tour à tour convoité et parfois détruit, avant ou après la première conquête islamique de 637. Bonaparte y séjourna, entre Alexandrie et Saint-Jean-d’Acre. Mais c’est l’ère moderne qui occupe la plus grande partie de l’ouvrage. Une histoire contemporaine à la hauteur du passé : rebelle et tragique. La tragédie d’aujourd’hui étant évidemment le blocus israélien qui étouffe tout un peuple. L’auteur montre les étapes d’une « descente aux enfers ». En 2005, le démantèlement des colonies, qui, par son caractère unilatéral, n’a pu s’inscrire dans un processus de négociation globale avec l’Autorité palestinienne ; puis le blocus israélien et les raids de l’été 2006, qui détruisent les infrastructures et jettent 79 % de la population dans la misère. Puis les affrontements entre le Fatah et le Hamas de juin 2007, dont Jean-Pierre Filiu propose une analyse plus complexe que celle qui a généralement prévalu sous l’appellation « coup de force du Hamas ». En quelques jours, écrit-il, « Gaza, berceau des fedayines et creuset de l’intifada, est devenu le huis clos de la plus sanglante des querelles interpalestiniennes ». *L’option américaine** « Cisjordanie d’abord » précipite Gaza, devenu un « Hamastan », dans l’abandon et l’isolement. C’est le moment choisi par Israël pour frapper massivement le territoire en décembre 2008 et en janvier 2009. Une opération qui se soldera par la mort de 1 417 Gazaouites. *« Un million et demi de femmes et d’hommes paient aujourd’hui à Gaza le prix d’une impasse multiforme et prolongée », conclut Jean-Pierre Filiu, qui rappelle qu’il est pourtant « vain de croire évacuer ou marginaliser un territoire aussi saturé d’expériences fondatrices ».

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