Portraits : trois nouveaux députés

Sergio Coronado, Nathalie Chabanne, Pouria Amirshahi : trois jeunes députés aux personnalités variées incarnent un renouvellement bienvenu du Palais-Bourbon : un écolo ayant grandi en Argentine, une militante de base, un connaisseur de l’Afrique…

Pauline Graulle  • 21 juin 2012 abonné·es

Sergio Coronado

L’internationalisme au cœur

Un écolo né au Chili, ayant grandi en Argentine, et qui fait la navette entre la France – où il vit depuis 1982 – et la Colombie… Qui pouvait rêver meilleur personnage pour porter les habits du premier député français élu en Amérique latine ? Les « expat’ » du Brésil, du Mexique et du Pérou ne s’y sont pas trompés : 53 % d’entre eux ont glissé dans l’urne un bulletin « Sergio Coronado ». Lequel, à 42 ans, est l’un des 17 membres d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) qui siégeront au Palais-Bourbon.

Beau brun encore peu connu du grand public (mais cela ne saurait tarder), le Vert est pourtant loin d’être un bleu de la politique. En 2011, c’est lui qui permet à Eva Joly de remporter la primaire, s’attelant à redresser une campagne « qui prenait l’eau »  : « Sergio a réussi à souffler à Eva Joly l’idée d’une écologie de combat, analyse Pascal Durand, successeur de Cécile Duflot à la tête d’EELV (voir page 10). Il lui a aussi apporté sa connaissance de l’histoire du parti – ce qui a manqué à Nicolas Hulot – et sa vision militante… » C’est qu’une petite enfance passée sous la dictature de Pinochet doit sans doute laisser des traces… Après un détour par Génération Écologie, le fondateur du syndicat lycéen la FIDL, naturalisé à seulement 24 ans, débute sa carrière politique avec Noël Mamère.

En 2002, Coronado est nommé directeur de la campagne présidentielle de celui qui réalisera le plus gros score (5,25 %) jamais atteint par un écolo à cette élection. Persuadé que l’écologie est indissociable de la mise en place de nouvelles solidarités internationales, le biographe d’Ingrid Betancourt ( Ingrid, Fayard, 2008) est «  brillant » selon le sénateur Jean-Vincent Placé. « Intelligent et vif » pour Pascal Durand, qui apprécie le fait « qu’il n’est pas dans les positionnements convenus ». « Au forum social de Porto Alegre, témoigne un habitué des forums sociaux, il était l’un de ceux qui sortaient des sentiers battus pour aller au contact de la population. » Un avant-goût de son mandat de député ?

Nathalie Chabanne

La « tombeuse » de Bayrou

Comment terrasser, sur des terres où il est élu depuis vingt-six ans, un ancien candidat à l’Élysée, quand on est une illustre inconnue ? Ne dites surtout pas à Nathalie Chabanne, qui a réussi cet exploit, qu’elle est la tombeuse de François Bayrou – elle ne le connaît d’ailleurs pas personnellement. « On n’a pas fait une campagne en opposition à Bayrou ou aux autres candidats » , dit, d’une voix chantante mais encore mal assurée, celle qui l’a devancé de plus de 12 points (42,7 % pour elle, 30,1 % pour lui) dans la 2e circonscription des Pyrénées-Atlantiques.

Jusqu’ici, cette Béarnaise de 39 ans menait une vie de militante on ne peut plus basique. Adhérente du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), Nathalie Chabanne, fille d’un ancien maire sans étiquette (mais de gauche) de Gurmençon, attendra, pour des raisons professionnelles, 2006 pour prendre sa carte au parti. Adhérente du mouvement « Un monde d’avance » de Benoît Hamon, elle se sent appartenir à cette nouvelle ­génération de socialistes « contre le cumul des mandats, pour la transparence dans la manière d’exercer le pouvoir, proches du terrain et sensibles à la féminisation ». Pour le reste, c’est « la ligne » de François Hollande. Dont le « label » est sans doute la première raison de l’élection inattendue de la secrétaire de section PS de la vallée de l’Ousse…

Reste qu’il lui a sans doute fallu pas mal de courage pour contrarier certaines huiles du PS. Pierre Moscovici ou Marisol Touraine auraient bien aimé faire une fleur à Bayrou, qui avait appelé à voter Hollande à la veille du second tour de la présidentielle, en ne présentant aucun adversaire face à lui. « C’est Martine Aubry qui a rappelé que ma légitimité venait des militants de base qui voulaient du changement » , explique Nathalie Chabanne. Cette inspectrice des finances publiques, qui se mettra en disponibilité pour se consacrer à plein-temps à son mandat de députée, espère « refaire naître l’espoir à gauche ». En toute humilité.

Pouria Amirshahi

Le quadra ambitieux

Au téléphone, on entend en fond le muezzin appeler à la prière. Aujourd’hui, Pouria Amirshahi est à Rabat. Hier, il était à Tunis, avant-hier à Dakar… Le nouveau député est « sur les genoux » après sa campagne dans la 9e circonscription des Français de l’étranger, qui regroupe pas moins de 16 pays entre le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest.
Une campagne « dans une circo passionnante du fait de sa géopolitique » , insiste l’élu. Et au final très réussie au vu de son score de dimanche : 63 % au second tour, après avoir frôlé l’élection dès le premier avec 49,8 % des suffrages – ce qui lui a valu ce tweet ému de son ami, Benoît Hamon : « J’en pleurerais presque. »

La politique, Pouria Amirshahi, 40 ans, est, pour ainsi dire, tombé dedans quand il était petit. Né en Iran d’un père architecte et d’une mère opposante au shah, Pouria n’a que 5 ans quand sa famille se réfugie en France. Les premiers engagements de ce brillant élève au lycée Buffon à Paris ne tardent pas : la mobilisation contre la loi Devaquet, en 1986, est son baptême du feu. À peine huit ans plus tard, à la suite du renversement de la direction de l’Unef-ID, l’étudiant à Tolbiac et tout jeune père de famille est élu président du syndicat.

À l’aube des années 2000, en plein scandale de la Mnef qui met en cause bon nombre de ténors socialistes (Strauss-Kahn, Cambadélis…), Amirshahi n’a que 27 ans quand il prend les rênes de la mutuelle pour « dégager l’ancienne direction » . Neuf mois pour « faire le ménage » et mettre dehors la « génération Tapie ».

Un sacerdoce ? L’expérience le conduira en tout cas à « lever le pied de la politique » pendant trois ans, pour devenir travailleur social –  « mon établi à moi »  –, puis rédacteur en chef d’une revue sur la bande dessinée…
« Depuis 2008, la politique m’a rattrapé » , dit sans rire celui qui a été nommé secrétaire national du PS chargé de la coopération, des droits de l’homme et de la francophonie par Martine Aubry. Entre deux voyages sur le continent noir, il s’interroge sur la manière de « tourner la page de la Françafrique » pour lui substituer une « nouvelle ambition française, libérée des complexes et de l’arrogance ».

À l’aile gauche du parti, celui qui a milité aux côtés de Jean-Luc Mélenchon, notamment pour le « non » au traité constitutionnel européen en 2005, dit ne pas comprendre la démarche de rupture du leader du Front de gauche. « Un pas en avant vaut mieux que mille programmes » , justifie Amirshahi, citant Lénine.

Marie-Noëlle Lienemann, qui l’a chargé de rédiger des notes de veille sur les révolutions arabes, parle d’un homme « dynamique et déterminé » . Mais aussi d’un « grand animateur d’actions collectives » . « À l’Assemblée nationale, il va rester en contact avec ses électeurs et s’insérera très bien dans le groupe socialiste, veut croire la sénatrice. Il a l’esprit critique, mais la critique positive. »

Ce qui ne l’empêche pas d’envoyer quelques fléchettes si nécessaires. Quand, absent de la liste PS des régionales de 2006 en Charente, où il est pourtant premier fédéral, il tacle la politique d’ouverture au centre de Ségolène Royal. Ou quand il dénonce l’attitude du droitier Malek Boutih, qu’il qualifie de « premier des sarkozystes »

« Pouria ? Il ira loin » , prédit Jonathan Munoz, son remplaçant en Charente, qui note les capacités rassembleuses de son ancien collègue. En attendant, quel genre de député sera-t-il, une fois sur les bancs du palais Bourbon ? « Ni godillot ni trublion » , affirme l’intéressé. On n’en attendait pas moins.

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