Festival d’Avignon : La beauté du risque

Le festival d’Avignon promet encore cette année d’innombrables spectacles et une grande exigence.

Gilles Costaz  • 5 juillet 2012 abonné·es

Souvent critiqués, les directeurs actuels du Festival d’Avignon, qui restent en place jusqu’en 2013 et laisseront la maison à Olivier Py en 2014, ont le mérite de ne pas faire de concession au vedettariat. À part la présence de Ludivine Sagnier dans un des spectacles et celle de Juliette Binoche un soir lors d’une lecture, pas un nom people à se mettre sous la dent ! C’est sans doute une bonne chose, sauf à considérer une brochure trop austère et donc une manifestation difficile à décrypter pour le public qui n’appartient pas au sérail théâtral. Sans compter qu’il y a trop de choses, comme si le « in » enjoignait secrètement aux spectateurs de ne pas perdre de temps avec le off.

Quoi qu’il en soit, l’homme de théâtre qui ouvre la manifestation, l’Anglais Simon McBurney, est un personnage de grand talent. Formé chez Jacques Lecocq à Paris, il a tout appris du langage gestuel et comique pour créer des spectacles aussi physiques et visuels que philosophiques. Dans la Cour d’honneur, il adapte un roman colossal, le Maître et Marguerite, de Boulgakov, partant, a-t-il dit, de l’idée, ou plutôt de l’image, de Ponce Pilate apparaissant devant la muraille ecclésiastique d’Avignon. Spectacle en anglais surtitré. Tout est risqué mais beau risque. Le deuxième grand invité est un cinéaste dont l’activité théâtrale n’a jamais été négligeable : Christophe Honoré. Il vient avec trois pièces écrites par lui, deux mises en scène par d’autres (Éric Vigner, Robert Cantarella), et l’une montée par lui-même. C’est cette dernière pièce, Nouveau Roman, qui retiendra l’attention particulièrement.

Elle reconstitue la vie littéraire et amicale de la bande de l’éditeur Jérôme Lindon (Sarraute jouée par Ludivine Sagnier, Duras par Anaïs Demoustier), en inversant parfois les sexes pour mieux affirmer le rôle du théâtre (Brigitte Catillon et Annie Mercier incarnent Butor et Lindon). Honoré veut surtout poser une question, pertinente : pourquoi en est-on revenu à la tyrannie du sujet en littérature et dans les arts du spectacle, alors que le Nouveau Roman nous a appris que l’écriture et non le thème était en elle-même le sujet, le moteur et la matière de la création ?

Également à l’affiche, les grands metteurs en scène européens familiers d’Avignon : le Suisse Christoph Marthaler, l’Allemand Thomas Ostermeier, l’Italien Romeo Castellucci. Parmi les Français, Stéphane Braunschweig vient avec Six Personnages en quête d’auteur de Pirandello, et Arthur Nauzyciel la Mouette de Tchekhov. Si l’on ajoute la présence de Sophie Calle pour une exposition-installation sur sa mère, on comprendra que cette édition opte plus que jamais pour l’art contemporain.

Dans le off, qui doit avoisiner les 1 200 spectacles, on recommandera Avenir radieux, une fission française (Chêne noir, 11 h 30)  : seul en scène, Nicolas Lambert raconte l’histoire du nucléaire en France ; à la fois un numéro de théâtre et un dossier qui éclaire bien des zones d’ombre. Le tout ponctué de quelques savoureuses images de la télé en noir et blanc (les mensonges en la matière ne datent pas d’hier). À voir également Nathalie Joly chante Yvette Guilbert (Petit Chien, 20 h 45)   : le premier volet a déjà été créé, c’est un remarquable travail qui relie la chanteuse de « Madame Arthur » à Freud. Le créateur de la psychanalyse adorait la célèbre chanteuse de café-concert ; il venait la voir et lui écrivait. Nathalie Joly est allée à Londres retrouver leur correspondance inédite et, avec ces mots et les chansons, elle a conçu un spectacle très fort, Drôle d’affaire !, qu’elle interprète elle-même. Elle vient d’en concevoir un deuxième volet, Je ne sais quoi, qu’elle jouera en alternance avec la première partie.

Enfin, pour qui aime l’écriture théâtrale neuve et inattendue, les Ratés de Natacha de Pontcharra (L’École du spectateur, 12 h) : quasi immobiles à une tribune, des ratés à tête de rat dialoguent sur leur vie tragique au plus bas de l’échelle sociale. Une mise en scène au couteau de Fanny Malterre jouée avec une étonnante intensité compacte par Jean-Christophe Allais, Rainer Sievert et Jean-Paul Vigier.

Théâtre
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