Sénégal : « Ici c’est la famine, là-bas la mort »

Le village de réfugiés mauritaniens Arifounda-Beylane, au Sénégal, ne reçoit plus d’assistance du HCR depuis 1996.

Patrick Piro  • 26 juillet 2012 abonné·es

La charrette circule depuis deux bonnes heures sous une lune voilée. La piste sableuse à peine marquée est faiblement éclairée, mais c’est largement suffisant pour le conducteur. Il connaît toutes les ornières, les zones marécageuses, les touffes d’épineux où il faut bifurquer. Les lumières de Ndioum, l’une des principales villes du département septentrional de Podor, ont disparu depuis longtemps. La région, qui fait face à la province mauritanienne de Brakna, l’une des plus dévastées par les déportations de 1989, a accueilli le gros des quelque 250 camps de réfugiés constitués à l’époque.

Le fleuve Sénégal n’est plus très loin. Dans le silence d’un théâtre d’ombres surgissent enfin la trentaine de cases d’Arifounda. Ou plutôt Arifounda-Beylane : les réfugiés mauritaniens ont adopté la coutume de baptiser les sites sénégalais où ils s’installent du nom de leurs anciens villages, généralement arabisé par leurs nouveaux occupants. Dans les premiers temps, Arifounda avait été planté sur la rive même du fleuve, d’où ses habitants pouvaient distinguer Beylane de l’autre côté. Le risque ­d’escarmouche les a convaincus de déplacer un peu vers l’intérieur des terres leurs cases en banco (terre crue).

Les habitants ont préparé la visite. Depuis 1996, le HCR ne leur fournit plus d’assistance, leur dénuement est total, mais le thé de l’hospitalité est au rendez-vous. Le matin, les enfants traversent la rivière Gayo puis parcourent les deux kilomètres qui les séparent de l’école sénégalaise. En guise de salles de classe, deux cabanes de branchages qui font honte à l’instituteur. Mais les enfants mauritaniens n’en font pas grand cas : francophones, ils suivent là des cours dispensés en français, alors que dans l’ancienne Beylane, l’arabe a été imposé comme langue d’enseignement.

Les moyens de subsistance sont extrêmement limités. Il n’y a pas de terres disponibles à Arifounda-Beylane ; les réfugiés, des plus jeunes aux plus vieux, prêtent leurs bras à des cultivateurs sénégalais locaux. « Un calvaire… Nous recevons un dixième des sacs de grains récoltés , explique l’un des responsables de la petite communauté. Ici, c’est la famine ; là-bas, c’est la mort. »

Monde
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