La volupté du tyran

Une belle vision de Britannicus, dans une mise en scène moderne.

Gilles Costaz  • 27 septembre 2012 abonné·es

Faute de trouver la bonne formule pour définir un angle d’attaque qu’ils n’ont toujours pas déniché, bien des metteurs en scène de Racine répètent ce que le poète écrivait lui-même dans ses préfaces. Il y a de belles choses dans ces introductions, mais l’auteur est souvent celui qui a la vision la moins claire sur son œuvre Sans compter que Racine, terrorisé par les rappels à l’ordre antique des doctes de son temps, multiplie des références historiques dont, aujourd’hui, nous n’avons que faire.

Dans sa « première préface » à Britannicus, le dramaturge écrit ceci du personnage de Néron, avec l’ironie d’un homme qui se sent supérieur à ses critiques : « Je l’ai toujours regardé comme un monstre. Mais c’est ici un monstre naissant. Il n’a pas encore mis le feu à Rome. Il n’a pas tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs. À cela près, il me semble qu’il lui échappe assez de cruautés pour empêcher que personne ne le méconnaisse. » Faut-il pour cela voir essentiellement dans Britannicus la naissance d’un monstre, comme on l’a fait si souvent ? Jean-Louis Martinelli, qui monte la pièce à Nanterre, préfère mettre en relief la naissance d’un animal politique. Ce qui va jaillir, c’est, retardée par les hésitations et les tergiversations du jeune empereur, la volupté du pouvoir. Et le délice de l’impunité quand on change d’avis et passe de la bienveillance de convention à la férocité sans frein. Rien n’est aussi évident quand la pièce commence dans un palais aux colonnades en cercle et brise le silence par un jet d’eau sifflant au centre de l’espace (beau décor de Gilles Taschet). Agrippine, dans cette vision-là, est douce. En tunique ocre, elle est assise au sol, confiante. Comme tous les personnages, elle changera. Jouée par l’excellente Anne Benoit, elle ne deviendra pas la mégère habituelle, mais une bourgeoise dépassée – ce qui n’est pas mieux !

Tout, alors, ne sera plus qu’une circulation autour de la pièce d’eau. Celle du jeune Britannicus et de Junie qui voudraient s’aimer, d’Agrippine qui voudrait obtenir l’obéissance de son fils, des deux conseillers qui croient que l’empereur les écoute… C’est peut-être ça, la mise en scène moderne des classiques : la circulation à trouver. Sinon, cela raisonne et résonne comme de la rhétorique. Martinelli, dont certaines des meilleures mises en scène ont été inspirées par Racine, dessine habilement ces cheminements. Junie, dans sa robe immaculée, passe vite, presque en courant. Néron, dans sa veste rouge qu’il ne cesse d’ouvrir pour bien montrer sa musculature, déplace sans cesse le fauteuil où il s’assoit. Il dirige tout, même la place de chacun dans l’espace !

Alain Fromager est un Néron sardonique, coupant : une frappe qui joue au grand seigneur. Il domine la représentation, bien qu’on apprécie d’autres présences qui bousculent en douceur les conventions : Anne Suarez, vibrante Junie, Grégoire Œstermann, d’une belle jubilation dans l’expression du cynisme, Jean-Marie Winling, qui fait de Burrhus un conseiller dépassé par l’âge. On sera plus réservé à l’égard d’Éric Caruso, qui, en Britannicus, s’attache à un jeu littéraire et introverti, élégant mais en décalage avec celui de ses partenaires. Les interprètes et Jean-Louis Martinelli captent à merveille ce qu’est le théâtre classique : une violence feutrée qui est l’image scénique d’une société foncièrement cruelle sous ses hymnes à la beauté.

Théâtre
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