Qui a peur de l’Iran ?

Une négociation avec l’Iran suppose, pour les États-Unis et le monde arabe, d’ouvrir le dossier du nucléaire israélien. L’analyse de Bernard Ravenel.

Bernard Ravenel  • 20 septembre 2012 abonné·es

Le clash qui vient d’éclater entre Barack Obama et Benjamin Netanyahou (le premier ayant refusé de recevoir le second) ne peut surprendre lorsqu’on connaît les positions des deux protagonistes face à l’éventualité d’une attaque israélienne sur l’Iran. Cette irruption spectaculaire du Premier ministre israélien dans la campagne électorale américaine ne doit pas faire oublier les enjeux décisifs qui se cachent derrière cette nouvelle querelle.

Après le constat de leur échec politico-militaire en Irak et en Afghanistan, les États-Unis, soumis en outre à une pression accrue du monde arabe (États et sociétés) pour une solution politique de la question palestinienne, ont ressenti la nécessité d’une réorganisation géostratégique d’un Moyen-Orient qui possède les deux tiers des ressources énergétiques connues. Ce qui suppose de repenser les relations avec le monde musulman, y compris l’Iran (on se souvient du discours du Caire d’Obama, en juin 2009), mais aussi avec Israël. Les États-Unis et le monde arabe estiment qu’une négociation-pression avec l’Iran suppose d’ouvrir le dossier, jusque-là tabou, du nucléaire israélien. En 2010, sur une exigence du monde arabe soutenue pour la première fois par les États-Unis, la conférence de révision du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) a décidé la tenue d’une conférence spéciale en 2012, avec pour objectif d’avancer dans la création d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient. Certes la cible officielle de cette réunion est le projet iranien. Mais personne n’ignore que l’autre cible est Israël, unique pays de la région à posséder un arsenal nucléaire et à ne pas avoir signé le TNP, donc à n’avoir jamais été inspecté par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Ayant toujours opposé un refus absolu à toute forme de contrôle de son arsenal nucléaire par qui que ce soit, y compris les États-Unis, Israël fait tout son possible pour reporter cette réunion ou, en tout cas, faire qu’elle ne soit qu’un échange de bonnes paroles. Pour Obama, au contraire, qui a accepté que cette conférence n’ait lieu qu’en 2013, à Helsinki, l’échec affaiblirait sa position et ses efforts pour promouvoir le TNP.

L’enjeu est clair : c’est la parité stratégique. À savoir un Moyen-Orient dans lequel Israël ne serait plus le seul État à posséder l’arme nucléaire (en secret, avec l’accord silencieux de l’Occident) et à dicter les règles du jeu. Et où il devrait aussi admettre de « partager » ce pouvoir avec un Iran doté d’une capacité de produire des armes nucléaires. En même temps, on voit mal les pays arabes accepter ce double pouvoir… C’est le refus absolu de la perte du monopole nucléaire dans la région qui motive la volonté de Netanyahou et de son ministre de la Défense, Ehud Barak, d’empêcher par tous les moyens l’Iran de disposer de la « capacité nucléaire ». Et non, comme le prétendent leurs zélés défenseurs, pour protéger Israël d’un éventuel blitz iranien avec des armes nucléaires. L’Iran veut accéder à la capacité nucléaire parce qu’il s’estime entouré de puissances nucléaires interventionnistes, les États-Unis et Israël, et que, face à cette situation, il lui faut opposer la puissance dissuasive, « égalisatrice », du nucléaire. Pour l’Iran, toute renonciation réelle à l’application militaire de la technologie nucléaire n’est possible que si les États-Unis acceptent le transfert d’un rôle de sécurité régionale à l’Iran, couplé avec des garanties de non-agression d’Israël.

Ainsi se définissent les bases d’une négociation possible avec les États-Unis : dissuasion « virtuelle », sans armes nucléaires (être un pays « du seuil »), droit à mener un programme civil, sauvegarde du TNP et de l’AIEA et garantie de sécurité d’Israël. Le tout permettant à l’Iran de jouer un rôle de puissance régionale dans un système international multipolarisé. Israël n’est pas prêt à accepter cette nouvelle configuration, mais l’intérêt stratégique américain n’amène-t-il pas les États-Unis à imposer à Israël cette nouvelle donne ? La conférence d’Helsinki peut ouvrir une porte à une dénucléarisation par étapes. Ce qui suppose une approche politique et régionale où l’on négocie à la fois sur le nucléaire, la question palestinienne et le retrait américain d’Irak et d’Afghanistan. Certes on ne peut exiger qu’Israël abandonne la bombe du jour au lendemain, mais on doit l’inciter à accepter l’idée d’un traité régional d’interdiction des armes de destruction de masse, parce qu’on ne peut pas éternellement proclamer qu’Israël a le droit à la bombe et pas les autres. En même temps, face au refus israélien, on doit se préparer à un Moyen-Orient de plus en plus dangereux à mesure qu’Israël refuse toute solution politique au conflit israélo-palestinien et que s’étendent, à partir de la tension entre Israël et l’Iran, la nucléarisation et la militarisation d’une région où un « incident » est vite arrivé, pouvant enclencher un conflit armé aux conséquences incalculables.

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