Dopage : quand le cyclisme amateur donne le départ

L’affaire Armstrong a tendance à faire oublier que le cyclisme amateur est souvent un lieu d’apprentissage des pratiques dopantes.

Xavier Bonnehorgne  • 22 octobre 2012
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Dopage  : quand le cyclisme amateur donne le départ
© Photo : AFP / JOEL SAGET

L’Union Cycliste Internationale, le 22 octobre, a retiré à Lance Armstrong ses sept titres du Tour de France. « Armstrong », après « Festina » en 1998 ou « Puerto » en 2006 : autant d’affaires de dopage retentissantes qui affectent le cyclisme professionnel mais aussi la crédibilité des coureurs eux-mêmes. Le sentiment d’un éternel recommencement alors que la plupart des médias, consultants, anciens pros, journalistes nous promettent toujours, que le prochain Tour de France sera plus propre, sans en donner les véritables recettes.

Mais pendant que ces spécialistes de la question s’évertuent à adresser leur énième piqûre de morale au monde professionnel, le cyclisme amateur, bien loin de nos écrans, souffre lui aussi du dopage sans jamais que personne ne s’y attarde vraiment. Pourtant, il semblerait que ce soit bien dans ce milieu-là que les coureurs commencent par franchir le rubicon. C’est en tout cas ce que pensent nos quatre interlocuteurs qui, loin de vociférer le stérile « tous pourris », sont convaincus que le cyclisme amateur est l’antichambre du milieu professionnel. Témoignages.

Christophe Bassons : « j’ai découvert le dopage dans le milieu amateur »
Professionnel en 1996 dans l’équipe « Force Sud » puis à « Festina » (il n’est pas présent sur le Tour de France lorsque le scandale éclate en juillet) avant de rejoindre l’équipe cycliste « La Française des Jeux » en 1999, Christophe Bassons faisait partie de ces « résistants » du dopage. En 2001, désabusé, il quitte le cyclisme professionnel, Aujourd’hui il fait partie de la Direction régionale de la Jeunesse, des Sports et de la cohésion sociale d’Aquitaine à l’Agence Française de lutte contre le dopage (AFLD). Ce lundi, il a été suspendu un an par la FFC pour avoir manqué un contrôle antidopage lors des championnats de France de marathon de VTT qui se déroulaient le 1er septembre.*

En matière de dopage, le cyclisme amateur n’est pas seulement l’antichambre du cyclisme professionnel c’est l’endroit par où le scandale commence. Personnellement, j’ai découvert le dopage dans le milieu amateur. Entre ces deux milieux, il y a un « gouffre » sur le plan sportif mais les mentalités sont les mêmes concernant le dopage dès lors qu’on accepte l’idée que le sportif doit être assisté.

Mais la vraie question que l’on doit se poser aujourd’hui, au-delà d’un renfort des contrôles anti-dopage, c’est celle de l’entourage des coureurs qu’il soit sportif ou familial. Si j’ai dit non au dopage lorsque j’étais chez Festina c’est parce que les gens qui m’ont accompagné avant de rentrer dans le milieu professionnel ne m’ont pas constamment poussé à la performance et parce que l’on m’a toujours dit d’être fier de mes résultats pour moi-même et pas en fonction du regard des autres.

Je mène justement aujourd’hui des campagnes contre le dopage pour la AFLD (Agence Française de Lutte contre le Dopage) , il y a un important travail de communication à faire en la matière. Il faut vraiment que l’on se pose la question de l’image que l’on donne du cyclisme aux enfants dans les clubs.

Jean-Pierre de Mondenard : « le phénomène du dopage chez les amateurs n’est pas nouveau »

Médecin du sport et spécialiste du dopage, Jean-Pierre de Mondenard a défrayé la chronique en publiant en 2010 l’ouvrage, Dopage dans le football, la loi du silence (éditions Gawsewitch, 2010).

Quand on parle du monde amateur, on ne parle pas des « sportifs du dimanche » il s’agit des coureurs qui s’entraînent plusieurs fois par semaine et qui, très souvent, sont au contact de coureurs professionnels dans certaines compétitions. Les cyclistes amateurs, ce sont tous ces coureurs dits de « 1ére catégorie » parmi les trois distinguées aujourd’hui par la Fédération Française de Cyclisme (FFC).

Le phénomène du dopage chez les amateurs n’est pas nouveau. Déjà en 1968 sur une compétition réputée qui s’appelait le « Pas Dunlop » et qui organisait le Championnat de France des débutants, en l’occurrence les cadets, sur 6 contrôles, 4 étaient positifs. Aujourd’hui, chez les amateurs, c’est tout simple, au départ on vous fait prendre des vitamines telles que le « Guronsan », puis après des anabolisants puis l’entraîneur vous dit peu à peu que la piqûre est plus efficace, et enfin le coureur finit par prendre du Néoton (forme de créatine) ou de l’Actovégin (médicament à base de sérum de veau déprotéiné). Tout cela sous l’œil bienveillant de certains médecins des clubs qui non seulement savent, mais en plus soutiennent ce genre de pratiques.

Selon moi, il y a aujourd’hui deux solutions. D’abord il faut que les professionnels reconnus donnent une autre image de leur sport aux amateurs et qu’ils parlent. Je rêve que les Hinault, Merckx, Virenque, Jalabert et autres anciens coureurs aujourd’hui consultants pour les grandes chaînes disent ce qu’ils ont pris. Ensuite, il faut revoir totalement les contrôles anti-dopage qui aujourd’hui ne trouvent que 30 substances par contrôle alors que les listes contiennent 300 produits interdits. Il faut aussi les faire pratiquer par un organisme indépendant des fédérations ou des grandes instances dirigées par des gens comme Jean-Marie Leblanc (ancien directeur du Tour de France) , Patrick McQuaid (actuel président de l’Union Cycliste International, UCI), et Hein Verbruggen (influent membre du Comité international olympique depuis 2006), qui sont les plus grands minimalistes du dopage doivent disparaître.

Christophe Brissonneau : « le cyclisme amateur est gangrené par ces anciens « voyous » du milieu professionnel »

Docteur en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives et. auteur de : L’épreuve du dopage : sociologie du cyclisme professionnel (2008, PUF).

Le cyclisme amateur est concerné par le dopage tout simplement parce que les cyclistes amateurs au plus haut niveau s’entraînent aujourd’hui comme des professionnels. La qualité et la quantité de leur entraînement sont d’autant plus portées par une extrême rationalisation de la performance qu’ils sont dans un état de fatigue permanente, et connaissent des douleurs qui deviennent récurrentes, d’où l’utilisation de ce que l’on appelle la pharmacologie légale ou illégale. L’intensité est telle que si vous voulez tenir le rythme, il faut soigner les douleurs vite et bien sans jamais s’arrêter.

Cette rationalisation du sport a débuté au milieu des années 1980. À l’époque, on assiste à un bouleversement du secteur de l’audiovisuel public, le Tour de France devient un spectacle médiatique bon marché qui va brasser de plus en plus d’argent. Dès lors que les coureurs cyclistes deviennent un spectacle, leur corps devient une machine qui doit être constamment performant. On voit alors arriver des médecins dans les équipes dont le plus célèbre et sulfureux sera le docteur Belocq. Or, aujourd’hui, le cyclisme amateur se retrouve « gangrené » par ces anciens « voyous » du milieu professionnel, médecins et anciens coureurs devenus dirigeants de club. En des termes théoriques, on parle de sociologie de la déviance, c’est à dire que ces personnes, qui plus est devenues légitimes transmettent des valeurs et des normes qui sont totalement scandaleuses.

Si l’on veut mettre fin au dopage dans le cyclisme amateur comme dans le cyclisme professionnel, il faut tout simplement arrêter de demander toujours plus aux coureurs et changer plus généralement la manière de voir les compétitions sportives. Si le sportif est malade, il faut l’arrêter. Les médecins qui entourent les coureurs doivent cesser de vouloir optimiser la récupération. Il faut aussi faire du ménage dans les équipes. A cet égard, les centres de formation des équipes AG2R Et Europcar ont depuis quelques années recruter un personnel différent pour encadrer les jeunes et leur tenir un autre discours.

Un ancien coureur pro*: « j’ai baigné dans un milieu amateur propre, mais chez les pros j’ai vu du grand n’importe quoi »

Je n’ai jamais vu circuler un seul produit lorsque j’étais amateur. Dans mon ancien club, tous les coureurs étaient extrêmement bien suivis et le discours sur le dopage était très clair, on ne prenait rien. J’ai baigné dans un milieu amateur véritablement propre mais une fois chez les pros, j’ai vu du grand n’importe quoi. J’ai commencé par observer des pratiques scandaleuses sur le Tour de l’Avenir, quand j’ai débuté ma carrière. J’ai préféré ignorer ces histoires, car je savais que tout cela existait mais moi je ne prenais rien. Deux ans plus tard, je suis tombé de très haut lorsque j’ai participé au Tour d’Italie.

Sur cette épreuve, le directeur sportif de l’équipe faisait venir un médecin. On pouvait avoir des piqûres tous les jours. Si un coureur voulait gagner, il savait aussi qu’il pouvait compter sur une petite boîte de pilules. Il y avait des vitamines, des anti-douleurs, des seringues remplies de produits dont les coureurs ignoraient le contenu. Dégoûté par tout cela, j’ai arrêté ma carrière quelque temps après le Giro, je m’étais mis à dos les coureurs et les médecins auxquels j’avais tenu tête.

Aujourd’hui, je parle librement de ces pratiques, je n’ai jamais rien pris et j’en suis fier mais je comprends les coureurs qui se taisent. Ils ne veulent pas perdre leur travail. Si jamais tu parles, ce n’est plus possible de retrouver une équipe. Si l’on veut un cyclisme plus propre, il faut que ces médecins et directeurs sportifs sulfureux quittent le cyclisme. Il faudrait aussi en finir avec ces calendriers de courses complètement fous qui comptent de multiples courses à étapes. Les coureurs se sentent obligés de se doper pour être performant.

* Témoignant sous anonymat.

Société
Temps de lecture : 9 minutes
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