« Nous avons tapé là où ça fait mal »

Un des coauteurs de l’étude sur les OGM de l’équipe de Gilles-Éric Séralini, publiée le mois dernier, revient sur le rejet par les autorités scientifiques des résultats de ce travail de recherche.

Patrick Piro  • 11 octobre 2012 abonné·es

L’Agence européenne de sécurité alimentaire (Efsa) vient de rejeter en bloc les résultats des recherches de l’équipe Séralini montrant que des rats nourris au maïs NK 603 de Monsanto développent des tumeurs. Pour le médecin Joël Spiroux, l’un des coauteurs de cette étude, c’est le signe d’une déstabilisation du milieu de la toxicologie.

L’Efsa juge votre étude « d’une qualité scientifique insuffisante pour être considérée valide pour l’évaluation des risques ». Cela vous surprend-il ?

Joël Spiroux : Nous ne reconnaissons pas sa compétence pour évaluer notre travail, alors que cet organisme a autorisé le NK 603 au vu d’études toxicologiques indignes produites par Monsanto. Celles-ci ne répondent pas aux exigences de la mission de l’agence – protéger les populations. Comment ses experts pourraient-ils se dédire aujourd’hui ? Fin septembre, nous avons rencontré la directrice de l’Efsa pour lui proposer de mettre à disposition tous les éléments de notre étude si elle acceptait de rendre publiques les données de Monsanto. En vain, au nom du secret industriel. Est-il légitime de l’alléguer pour des recherches toxicologiques faites sur des rats ?

Les critiques proviennent aussi du milieu scientifique. Qu’en retenez-vous ?

Nous reproche-t-on d’avoir testé une souche de rats développant facilement des tumeurs ? Monsanto utilise la même. Et c’est logique : pour vérifier l’innocuité d’un produit, on ne l’expérimente pas sur des espèces ultrarésistantes ! Surtout, nous montrons que des tumeurs apparaissent bien plus tôt chez les rats exposés que dans le groupe témoin. On nous reproche de n’avoir pas mené une étude cancérologique en bonne et due forme : ce n’était pas notre propos. En mars 2007, nous avions soupçonné des signes de toxicité hépatique et rénale provoqués sur des rats par le maïs MON 863 de Monsanto, et nous voulions cette fois-ci voir ce qu’il en était sur deux ans. En août 2007, un rapport financé par Monsanto [^2] n’a pas jugé nos alarmes probantes, parce que les résultats différaient entre mâles et femelles, que les effets n’étaient pas linéaires selon la dose, et que l’on ne distinguait rien à la dissection. Est-il surprenant que de potentiels perturbateurs endocriniens affectent différemment les sexes ? On sait aussi que de nombreux poisons agissent de manière variable selon la dose, et que la dissection n’est pas toujours probante. Le fond de l’affaire, c’est que nous mettons en cause non seulement la validité des évaluations menées par des organes comme l’Efsa, mais aussi des disciplines comme la toxicologie et l’épidémiologie. C’est la première fois au monde que l’on teste ensemble un maïs OGM et l’herbicide Round-up qui le traite, quand les études classiques se contentent de tester la seule molécule active des produits toxiques. Une recherche vient d’ailleurs de montrer que les autres produits qui entrent dans la composition de l’herbicide peuvent être plus toxiques que le principe actif ^3. Gilles-Éric Séralini en est cosignataire.

Après le retentissement médiatique qu’ont suscité vos révélations, le rapport de force semble aujourd’hui en votre défaveur…

Ce n’est pas facile, en effet, mais nous avons le sentiment d’avoir tapé juste, là où ça fait mal. Notre étude a été publiée le 19 septembre à 17 heures dans la revue Food and Chemical Toxicology, et les premières critiques sont apparues le soir même, alors qu’il a fallu quatre mois au comité de relecture pour l’évaluer. Les détracteurs se déchaînent avant même d’avoir dûment examiné l’étude, certains commentaires émanent de scientifiques qui ne connaissent rien au domaine en question. La plupart d’entre eux négligent le fait que notre travail pose un vrai problème, qui mérite que l’on aille y voir de plus près ! Nous appelons d’ailleurs de nos vœux la réalisation d’une contre-étude.

Comment défendrez-vous votre travail ?

D’autres avis sont attendus, comme celui de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Des parlementaires souhaitent également nous auditionner. Mi-octobre, nous publierons une réponse détaillée à nos détracteurs, et nous tirerons nos conclusions. Il est temps que la population européenne prenne conscience de ce qui se trame au-dessus de sa tête, et nous y contribuons.

[^2]: Rapport Doull et al., 2007.

Écologie
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