Cuba au chevet de Chávez

Les Cubains redoutent la disparition du président vénézuélien, car ils dépendent largement des importants accords économiques liant les deux pays.

Françoise Escarpit  • 17 janvier 2013 abonné·es

Tout au long de la journée du 10 décembre, à La Havane et dans toute l’île, on a écouté et commenté le discours de la veille, au cours duquel Hugo Chávez, hospitalisé dans la capitale cubaine, annonçait la récidive de son cancer. Les liens entre le Venezuela et Cuba se sont largement renforcés depuis 2001, avec d’importants accords d’échanges et de coopération qui ont permis à Cuba de relancer son économie en l’accompagnant d’un cadre de réformes inédites, dans lequel l’État reste le modérateur mais n’est plus l’acteur unique. D’Evo Morales (Bolivie) à Dilma Rousseff (Brésil), de Rafael Correa (Équateur) à Cristina Kirchner (Argentine), on a fait le voyage ou téléphoné à La Havane pour soutenir Hugo Chávez. Même le Colombien Juan-Manuel Santos s’est inquiété. Le Venezuela a des accords bilatéraux avec la plupart des pays d’Amérique du Sud, et la Caraïbe tout entière bénéficie de tarifs pétroliers préférentiels, depuis la création de Petrocaribe en 2005.

Pour les Cubains, la disparition de Chávez et la possible déstabilisation, à terme, du mouvement qu’il a construit pendant ses douze années de présidence sonneraient le glas de la transition. Alors que Cuba a entamé des changements radicaux dans sa vie économique, politique et quotidienne, son talon d’Achille reste sa dépendance vis-à-vis du Venezuela, même si l’étroite coopération scellée entre les deux pays n’est pas de même nature que celle qui a lié, jusqu’en 1989, Cuba aux pays du Comecon. Mais sans pétrole (Caracas fournit deux tiers de la consommation cubaine, l’autre tiers étant produit dans l’île), plus de transports, d’électricité, de pêche, d’agriculture, de construction, d’industrie, de tourisme… Et le retour à une paralysie de l’île. Le Venezuela est aujourd’hui le premier partenaire de Cuba. Leurs échanges sont quatre fois plus importants que ceux de Cuba avec la Chine et huit fois plus importants que ceux avec le Canada et l’Espagne. Avec d’autres pays, comme la Hollande, le Brésil, le Mexique, la France, l’Italie et, loin derrière, les États-Unis, les échanges, plus modestes, se font à sens unique. En effet, pour des raisons « humanitaires », Cuba peut y acheter des aliments en les payant comptant, mais n’est pas autorisée à y vendre ses produits en raison du blocus. La principale entrée de devises à Cuba reste cependant les États-Unis, avec l’argent envoyé par les émigrés à leurs familles.

Le déficit de la balance commerciale ** entre La Havane et Caracas s’est aggravé en 2011. Cuba exporte pour 2 milliards et demi de dollars et importe pour près de 6 milliards, plus de la moitié de la somme étant consacrée au pétrole, avec, certes, des conditions de paiement très favorables. Ce déficit est toutefois compensé par l’exportation de services vers le Venezuela, où travaillent plus de 40 000 cadres et techniciens cubains, dans les secteurs de santé, mais également le sport, l’agriculture, l’informatique ou la sécurité. La dépendance énergétique de l’île pourrait avoir un impact sur l’ensemble de son économie et de ses projets. Dans la province de Cienfuegos, par exemple, qu’en sera-t-il du développement de la raffinerie, dont la capacité devrait être doublée pour 2014, de l’usine d’ammoniaque prévue pour 2015, des projets de production de PVC pour 2017 ? Dans d’autres provinces, des projets industriels seraient également compromis. Que deviendrait le port de Mariel, sur la côte nord, destiné à être le grand port de la Caraïbe ? Surtout, quelle marge de manœuvre aura le gouvernement de Raúl Castro pour mener à bien la transition ?

L’ouverture au travail artisanal et à la toute petite entreprise, l’autorisation des crédits bancaires, la distribution de terres, l’autorisation de vente des maisons et des voitures, les projets de coopératives dans la restauration et l’hôtellerie, mais aussi dans toute une gamme de services et d’industries, avaient, dans un premier temps, créé un certain chaos dans un pays où la libre initiative n’était guère valorisée. Pourtant, on sent aujourd’hui le retour d’une culture du travail, la réapparition des savoir-faire, la volonté de créer un pays différent, une espérance qui ne peut pas être déçue. Si, dans la presse officielle, on ne voit guère d’évolutions, le débat est vif dans des revues comme Temas ou Espacio laical, autour des questions sociétales, économiques, culturelles, philosophiques et, dans une certaine mesure, politiques. Puisque la santé d’Hugo Chávez ne lui a pas permis pas de prêter serment pour son nouveau mandat le jeudi 10 janvier, c’est le président de l’Assemblée nationale, Diosdado Cabello, réélu le samedi précédent à ce poste, qui devrait assurer l’intérim et organiser des élections dans un délai de trente jours. On parle également d’un report de l’investiture. Ce serait alors le vice-président Nicolas Maduro, probable candidat à la succession, qui dirigerait un temps le pays.

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