Robespierre, sans l’ombre d’un doute…

Des historiens s’insurgent contre un documentaire aux thèses antirépublicaines, multidiffusé par France 3.

Jean-Claude Renard  • 14 février 2013 abonné·es

Décidément, France 3 a quelques soucis avec l’histoire [^2]. Nombre d’historiens dénoncent aujourd’hui l’esprit et la multidiffusion (quatre fois en un an) d’un documentaire programmé dans la case « L’ombre d’un doute », présenté par Franck Ferrand, consacré aux guerres vendéennes (entre mars 1793 et février 1795). Titre : Robespierre : bourreau de la Vendée ? Le point d’interrogation donne le ton. C’est, assure le présentateur, « un sujet tabou », celui « des soldats de la République pratiquant l’extermination organisée ». Pour Ferrand, il s’agit de fouiller « la face obscure de la Révolution française ».

Passons sur la forme du film ** qui, à l’instar de beaucoup d’autres, tend à la spectacularisation. Avec ses reconstitutions ineptes et son poids de cadavres exhumés, ses accompagnements musicaux extirpés d’un film d’horreur, ses extraits de fictions peu identifiés. C’est le contenu qui laisse perplexe (euphémisme molletonné), visant à rendre Robespierre responsable du massacre de 120 000 à 170 000 personnes, rendant compte d’un « génocide vendéen » (notons que Robespierre est mort le 28 juillet 1794). À l’appui du docu, Reynald Secher, historien dont les travaux ont été recalés par ses homologues, Stéphane Courtois, historien anticommuniste n’ayant jamais étudié la Révolution française, Noël Stassinet, président de l’association du Souvenir chouan de Bretagne, et Jean Artarit, psychanalyste passionné d’histoire. S’y ajoute Jean-Clément Martin, spécialiste reconnu, dont les propos sont limités ici à l’anecdote. Réalisé par Richard Vargas, le docu décrit « une Vendée ravagée », de gentils et courageux Vendéens affrontant des cohortes républicaines sanguinaires, des Bleus lancés dans « un massacre », des illustrations picturales datées du XIXe siècle et empruntées aux légendes vendéennes courant depuis 1815, des « faits incontestables ». Mais jamais de document émanant de Robespierre. On décline et martèle le terme d’ « extermination ». Avant que le présentateur ne renchérisse pour parler de « vérité rappelée aux Français » et « d’occultation », parce qu’en France « il est impossible de critiquer la Révolution ». Avant de voir le journaliste Christophe Bourseiller conclure que « les colonnes infernales [républicaines] préfigurent les Einsatzgruppen de la Seconde Guerre mondiale ». Contrairement au titre du magazine, les auteurs ne doutent de rien. À y regarder de près, ce sont autant de discours déclinés depuis deux siècles par les partisans du révisionnisme vendéen. Des procédés et des thèses enfourchés par le parti pris contre-révolutionnaire, délégitimant la République née des droits de l’homme. Thèses répandues précisément par la droite réactionnaire et monarchiste.

Des thèses que dénoncent justement les historiens, tels Marc Belissa (université de Paris Nanterre) ou Yannick Bosc (université de Rouen), soulignant « une leçon d’anti-méthode historique », qui « se contente de mettre en scène un discours politique recuit mais probablement vendeur ». Tandis que Pierre Serna, directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, pointe successivement «  les approximations historiques »  ;  « les documents filmés non identifiés »  ; « les ignorances sur le contexte de guerre européenne et sur les formes de mises à sac que des troupes militaires peuvent perpétrer sur des populations civiles »  ; l’ignorance encore des « interprétations de Jean-Clément Martin, non utilisées », alors que cet « auteur d’un travail magistral sur la Vendée est interrogé seulement sur des aspects factuels », servant ainsi d’alibi ; les contre-vérités assénées sur un prétendu « mémoricide qui permet d’inventer un doute là où toute la verve anti et contre-révolutionnaire s’est toujours tranquillement exprimée ». *Tout cela passerait pour** une franche rigolade si, entre deux diffusions, Lionnel Luca (député UMP), accompagné de Marion Maréchal-Le Pen et de soixante parlementaires, n’avait pas déposé une proposition de loi réclamant la *« reconnaissance du génocide vendéen ». Fallait-il que France 3, le 7 mars 2012, le 16 août 2012, le 23 janvier 2013 et ce 4 février 2013, propose une telle audience à cette falsification ?

[^2]: Voir Politis n° 1239 et le traitement différent accordé aux « suicidés » Robert Boulin et François de Grossouvre.

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