Le transmédia rallume la télévision

Dans un contexte budgétaire difficile, France Télévisions trouve l’inspiration dans les nouvelles écritures.

Jean-Claude Renard  • 21 mars 2013 abonné·es

C’était il y a peu. En 2009, le Monde.fr éditait le Corps incarcéré, de Karim El Hadj et Bernard Monasterolo, sur le quotidien des détenus. Puis, en 2011, la Zone, de Bruno Masi et Guillaume Herbaut, autour de Tchernobyl, et François Duprat, une histoire de l’extrême droite, de Joseph Beauregard. Auparavant, Arte avait inauguré sa production de webdocs avec Gaza Sderot puis Prison Valley. De nouveaux formats qui ont connu un certain succès. Cette écriture repose sur plusieurs ingrédients : l’utilisation du son, de l’écrit, de l’image, de l’animation également, un ensemble propice à raconter une histoire, réelle ou fictive.

France Télévisions a pris le train en marche, avec, pour commencer, Manipulations, en 2012, adapté d’une série documentaire éponyme, signée Jean-Robert Viallet et diffusée sur France 5. Aujourd’hui, si France 4 et France Ô peinent à trouver leur identité, si France 3 se cherche un nouveau souffle dans la proximité et si France 2 court toujours après les audiences de TF1, le service public mise sur le transmédia. À l’évidence, le groupe cherche à rattraper son retard dans la cosmogonie numérique. Face à Arte, en France, mais aussi face aux grosses structures internationales comme Google, Netflix et Amazon. Pour Boris Razon, ex-rédacteur en chef du Monde.fr, aujourd’hui directeur des nouvelles écritures et du transmédia à France Télé, ce pôle se veut « un laboratoire, un territoire de recherches qui permet une liberté de formes, une capacité d’exploration que la télévision, avec ses enjeux de masse, ne permet pas, ou plus, aujourd’hui. Si ce n’est pas là que l’on prend des risques, je ne vois pas où l’on en prendra. En restant dans la reproduction de choses déjà faites, on est en dehors de notre mission ».

Une chance pour le secteur dans ces premières années d’exercice : « Il n’y a pas encore d’objectifs d’audience chiffrés. L’enjeu porte plus sur ce que l’on provoque chez les gens, sur la nature de leur engagement à l’intérieur d’un projet, que sur le nombre de personnes qu’on touche. » Ce qui permet des projets difficiles et sur lesquels « le web peut rassembler une communauté importante, poursuit Boris Razon. Ainsi, sur le thème du viol, nous avons monté une plateforme de témoignages en ligne associée à deux documentaires. Cette plateforme n’a pas fait une grosse audience, avec environ 50 000 visites. Mais ce sont des audiences réellement concernées, avec près de 1 200 témoignages ; ce qui est considérable sur le sujet quand on sait que peu de femmes portent plainte après un viol. Dans le transmédia, le lien tissé autour de “son propre documentaire” est autrement plus fort que le simple fait de regarder la télévision ». Si animer, bousculer et entraîner l’intervention est une donnée importante du secteur, à l’évidence, l’un des enjeux est de rajeunir l’audience, comme en témoigne une plateforme de webséries adossée à France 4, baptisée « Studio 4.0 », proposant gratuitement une vingtaine d’œuvres, avec deux nouveautés mensuelles (dont la truculente VRP ). Le rendez-vous semble tenir puisqu’il touche justement les 15-34 ans, avec un million de vues par mois.

Reste un détail d’importance, le nerf de la guerre : les moyens financiers. On pourrait penser que le webdoc est le parent pauvre du documentaire, une manière de réaliser des œuvres à moindre coût. Mais, reprend Boris Razon, « c’est de moins en moins vrai. Aujourd’hui, la production chez Arte ou France Télé d’un bon webdoc coûte globalement le même prix qu’un documentaire traditionnel. Avec une part de développement informatique importante qui n’est pas dans la production audiovisuelle stricte. Il existe aujourd’hui différentes économies, de la production low cost, qu’il faut savoir faire, aux productions web très léchées et chères ». Comme The End, etc., de Laetitia Masson, mis en ligne en février dernier, au budget de 400 000 euros. Sur Arte, Alma s’inscrit dans le même créneau financier. En 2012, le budget des nouvelles écritures s’élevait à 4 millions d’euros ; malgré la diminution des crédits, il devrait être reconduit pour 2013. Suffisamment pour réaliser une trentaine de productions dans l’année. Avec, parmi les œuvres à venir, dès la fin du mois, les Supercheries littéraires, sous forme d’animation, ou les Petits Meurtres, d’après Agatha Christie, où l’internaute est sollicité pour mener l’enquête.

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