Sanseverino : « On n’est pas là pour faire du folklore ! »

Rencontre avec le chanteur guitariste à l’occasion de la sortie de son cinquième opus, Honky Tonk, baigné de bluegrass.

Ingrid Merckx  • 25 avril 2013 abonné·es

Sanseverino habite Montreuil, en Seine-Saint-Denis, ville swing et rock. Pas un hasard pour ce « non-Manouche » qui a aidé à populariser le jazz manouche. À tel point qu’il en reste des traces sur son nouvel album, Honky Tonk, pour lequel il est en tournée [^2]. Il a reçu Politis entre deux dates, un matin, lendemain d’un concert où il avait « un peu hurlé ». Et veille d’un autre. Posé chez lui mais sur la route… L’occasion de remonter aux sources swing, musette, rock et bluegrass, avec cette manière si finement drôle qu’il a de raconter… [^3]

Est-ce important de « travailler local » ?

Stéphane Sanseverino : La proximité, dans le boulot, c’est super. Surtout dans la musique, où on n’a pas forcément le budget pour faire venir de New York un organiste qui va jouer deux notes. C’est ultra-cool d’avoir des studios pas loin où on peut demander un micro pour une journée ! Et puis je vais au festival swing à pied. Montreuil est aussi plein de rockers et de punks…

« Les rockers aiment la java », dites-vous dans Honky Tonk…

Grâce aux punks ! Des rockers qui ont eu l’idée de faire de la musique avec un peu n’importe quoi, comme les Négresses vertes et les Pogues. Avant, impossible de faire du folklore dans un festival rock : les rockers ne regardaient pas les autres. Les punks ont tout mélangé. Les stars du musette ont été longtemps boudées à cause des horribles émissions de télé du dimanche midi. Dans les années 1970, jouer de l’accordéon était un truc de vieux. Les jeunes faisaient du rock pour les faire chier et puis, un jour, ils sont devenus vieux à leur tour. Des groupes comme les Têtes Raides ou Java ont fait revenir le musette. Moi, je joue souvent avec Marcel Azzola, qui est ravi de voir que les jeunes l’aiment bien. Il pensait faire partie des ringards alors que c’est une pointure du jazz.

Parallèlement, le jazz manouche a explosé…

Ça a toujours été une sorte de niche. À part Django, les musiciens de jazz manouche faisaient de la musique de bar, ils étaient embauchés dans les groupes de musette, comme celui de Jo Privat. On n’aurait jamais vu une affiche : « Ce soir, apéro jazz manouche » ! C’était un sous-genre ! Et puis les gens se sont mis à aimer. Les maisons de disques ont changé d’esprit. Il y a eu les disques de Thomas Dutronc, les miens et plein d’autres… On a commencé, nous, les non-Manouches, à utiliser le genre le plus sincèrement possible. On a très vite été acceptés par les musiciens manouches du cru puisqu’on ne leur piquait pas leur truc.

Il reste des petits passages manouches sur votre album bluegrass Honky Tonk. Les deux se marient plutôt bien ?

Le swing est une harmonie jazz, alors que le bluegrass est super-folk, mais il y a des moments d’improvisation : on peut jouer jazz sur du bluegrass alors que jouer bluegrass sur du swing, ça ne se fait pas trop parce que les accords comptent trois notes au lieu de quatre… Au mieux, c’est du blues. Le lien entre les deux, c’est le western swing, une des cinquante tendances du country. En gros, c’est du Charles Trenet avec des chapeaux de cowboy, mais ça reste de la chanson : d’Iggy Pop à André Minvielle en passant par Metallica, la base, c’est la chanson.

Qu’est-ce que le bluegrass ?

Un dérivé de la musique country, inventé par Bill Monroe, le type qui a composé « Blue Moon of Kentucky », que chantait Elvis. C’est un mélange de musique irlandaise, de blues, de rockabilly et de rock acoustique. C’est binaire ou ternaire suivant les morceaux. Surtout, l’instrumentation est imposée : rarement de batterie, les instruments électroniques sont interdits ; on trouve violon, mandoline, banjo, dobro, guitare, contrebasse… Basse électrique à l’extrême limite ! C’est de la musique « traditionnelle improvisée ». Comme pour la musique irlandaise : quelqu’un improvise derrière le chant, le couplet d’après est avec un autre instrument, et ça tourne jusqu’au solo, où celui qui prend le chorus est un peu en avant pendant que le chanteur se tait.

D’où vient ce nom, « Honky Tonk » ?

C’est une sorte de shuffle  [^4]… Ça désigne aussi une espèce de guinguette militaire où jouent des groupes de droite (que je moque). Il y a pas mal de groupes de droite aux États-Unis. Alors qu’en France, à part les éternels Sardou et ceux qui s’affichent dans les soutiens, les musiciens sont quand même plutôt de gauche. Les Forbans, qui jouent pour le FN, c’est pas un groupe de droite, c’est surtout un groupe de cons…

Comment en êtes-vous venu au bluegrass ?

J’ai commencé à aimer cette musique en même temps que je découvrais les musiciens manouches de Paris, en 1980. Après deux albums de swing, un album avec un big band et un autre plutôt rock, j’ai voulu continuer à brouiller les pistes : on est là pour faire découvrir des musiques différentes, pas seulement pour vendre des disques ni se complaire dans un style. Je suis parti de mes chansons et je les ai traitées en bluegrass après. Puis j’ai vérifié si certaines ne traitaient pas de sujets trop évidents par rapport à la musique. Quand on joue du swing, c’est bien de ne pas parler de caravane. Les Manouches et les Gitans parlent de leur univers, moi je dois parler du mien. Il faut parler de ce qui nous touche. On n’est pas là pour faire du folklore.

Comme faire sonner du français sur du bluegrass ?

Ceux qui disent que le français ne sonne pas sont ceux qui n’écoutent que de la musique anglo-saxonne ! Après, le bluegrass est difficile, surtout pour un ténor, parce que très nasal. J’ai fait plusieurs enregistrements avec la rythmique : quand ça sonnait ridicule, j’enlevais. Et puis j’ai adapté ma voix de la façon la plus naturelle. Il fallait que je me reconnaisse et que je n’entende pas « un mec qui imite du bluegrass ».

Honky Tonk* renvoie aux films des frères Cohen… **

C’est une musique utilisée dans O’Brother, notamment. Les premiers exemples de bluegrass au cinéma, c’est dans Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967) ou dans Délivrance (John Boorman, 1972), où l’on entend un célèbre morceau au banjo qui est un peu le « Jeux interdits » du bluegrass…

En concert, vous jouez avec des chapeaux texans ?

Surtout pas ! On est en costards. Y’a deux écoles : celle-ci ou être sapés avec des Stetson, comme les groupes pendant la grosse vague du bluegrass, entre 1975 et 1985. Je trouve qu’on perd son identité en faisant ça. On est quand même des Français qui utilisent une musique américaine…

Vous rendez deux hommages : « Russian Lullaby » et « Nathalie »…

Je cherche toujours une reprise. Cette fois, je voulais une chanson russe et de femme. Je n’ai pas trouvé, alors j’ai pris un morceau russe dans lequel il y a une femme mais aussi un homme : Gilbert Bécaud. La musique était à la fois mineure et folk, c’était la chanson rêvée pour cet album.

Embouteillage, trajet… La voiture vous inspire ?

C’est le voyage qui m’inspire, je suis tout le temps parti. Mes albums sont un peu des faux carnets de route. Les vrais carnets de route ne sont pas intéressants, on attend beaucoup…

L’humour, c’est votre botte secrète ?

C’est une composante de mon écriture. J’ai du mal à faire sérieux, de la poésie premier degré, ça me gêne… Il faut toujours que je glisse une pirouette. Et puis je lis peu de poésie. En ce moment, je lis du Cormac McCarty et la biographie d’Elvis…

[^2]: Honky Tonk , Sony Music. En tournée : www.sanseverino.fr

[^3]: Entretien à retrouver en ligne sur www.politis.fr

[^4]: Figure rythmique ternaire.

Musique
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