Avignon In : Derniers feux et contre-feux

Racisme, révolte et sexualité sont les thèmes majeurs du festival in, ultime édition du duo Archambault-Baudriller.

Gilles Costaz  • 18 juillet 2013 abonné·es

Dans une semaine, le 67e Festival d’Avignon aura terminé sa course. Avec quelques artistes importants (le tandem Ludovic Lagarde-Olivier Cadiot, Philippe Quesne, Krzysztof Warlikowski) dans un dernier tour de piste. Ensuite, la manifestation changera de main, la direction passant d’Hortense Archambault et Vincent Baudriller à Olivier Py. On peut d’ores et déjà conclure que la part africaine du programme, qui était l’un des axes forts de cette édition, a été décevante. Heureusement que quelques acteurs de Côte d’Ivoire, comme Franck Edmond Yao, dit Gadoukou la Star (!), ont su, dans le spectacle Jet-Set, opposer un art populaire du portrait-charge, de l’imitation grotesque, au style un peu incertain des dramaturges venus du Congo.

Néanmoins, l’un des chocs du festival vient d’Afrique du Sud avec le spectacle-installation de Brett Bailey, Exhibit B  : une visite d’une salle de musée dont les vitrines sont occupées par des acteurs immobiles. Ces comédiens figurent leurs ancêtres tels qu’ils étaient placés au XIXe siècle dans les expositions universelles et les démonstrations à prétention scientifique et civilisatrice. Le personnage le plus célèbre est la Vénus hottentote – à laquelle Abdellatif Kechiche a consacré l’un de ses films les plus percutants. Une actrice nue l’incarne sur un socle tournant. Dans les alvéoles suivantes se succèdent tel domestique qu’on a exhibé avec des bêtes sauvages, tel employé comme il était présenté dans un « zoo humain ». Bailey a imaginé ces répliques à la vision raciste des Blancs colonisateurs en visitant, jeune, le Musée d’histoire naturelle du Cap : les Bushmen y étaient classés parmi les minéraux, les bêtes et les plantes ! Il a cherché – et trouvé – d’autres aberrations de ce genre dans son pays, mais aussi dans les archives de certaines nations : la France, la Belgique, l’Allemagne… Un parcours douloureux, une mise en cause nécessaire du confort intellectuel occidental. Pour en revenir au théâtre pur, l’Espagnole Angelica Liddel aura été, une nouvelle fois, l’une des personnalités centrales du festival. Présente avec deux spectacles, dont surtout Todo El Cielo sobre la tierra, cette femme en perpétuelle explosion volcanique rejette avec fureur tout ce qui l’oppresse : le pouvoir masculin, l’ordre social et économique, la cellule familiale, l’attendrissement, la dépendance aux autres, la culture établie, le discours altruiste… Elle voit partout mensonges et tromperies. Profondément blessée, elle s’exprime avec le déchaînement d’une rockeuse qui n’aurait que ses mots. Elle compose des tableaux avec des partenaires, mais, vite, s’isole dans le pinceau des projecteurs pour hurler sa douleur, dans un monologue de deux heures sans pause ni respiration. Elle a quelque chose d’un Artaud féminin, qui se brûle en scène et doit renaître, un peu plus brisée, à chaque nouvelle représentation.

Angelica Liddell est une habituée d’Avignon. L’Allemand Nicolas Stemann aussi, qui a apporté de Hambourg un Faust étourdissant. Ce n’était pas le cas de la troupe venue présenter l’adaptation du roman de Michel Houellebecq les Particules élémentaires. Rien que des jeunes issus de l’école du Théâtre du Nord, réunis par l’un d’eux, Julien Gosselin, qui a assuré l’adaptation et la mise en scène. Si le spectacle ne part pas très bien – avec de grands pans littéraires lus nerveusement et un jeu un peu trop music-hall –, l’équipe trouve peu à peu le ton, comme si une jeunesse se retrouvait, entre fascination et refus, dans celle des années 1970, qui, vue par Houellebecq, passe de la satisfaction des pulsions sexuelles au plaisir meurtrier. Joué par Guillaume Bachelet, Joseph Drouet, Tiphaine Raffier, Victoria Quesnel notamment, le spectacle avance à la hache, avec vidéo et musiques à l’appui. Ces jeunes livrent un travail de grands pros ! À Olivier Py, maintenant, de réinventer Avignon.

Théâtre
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