Dans le (très) dur

Les proférations de Pilliard restituent les discours des patrons d’il y a deux siècles.

Sébastien Fontenelle  • 29 août 2013 abonné·es

La dégueulasserie peut des fois mettre du temps à s’imposer pour ce qu’elle est [^2]. Mais d’autres fois : non. Quand le dénommé Jean-François Pilliard, vice-président du Medef (en charge, au sein de cette si noble institution, du « pôle social » – ça ne s’invente pas), crache à l’antenne d’une radio périphérique (qui fait de longue date son beurre audiencieux dans le lâcher de vilenies décomplexées) que, « si les cadres vivent plus longtemps que les ouvriers, c’est aussi à cause de leur hygiène de vie », on sait tout de suite qu’on est dans le (très) dur, dans le vraiment crade – comme quand Nicolas Baverez, prédicateur fanatique, avait déclaré en 2003 : « Pour les couches les plus modestes, le temps libre, c’est l’alcoolisme, le développement de la violence, la délinquance ^3. »

Ces gens du Medef ont dédié leur existence à l’aggravation des inégalités : c’est à eux (et à leurs élu-e-s et éditocrates d’accompagnement) que nous devons le creusement d’un écart toujours plus abyssal entre les pauvres et les riches. Entre celles et ceux qui ont tout, et celles et ceux qui n’ont rien. Et, bien sûr, ils ont retenu les leçons du passé. Ils savent que le prolétariat peut éventuellement s’agacer quand on lui mord trop longuement les brodequins, et qu’il est même arrivé, jadis et naguère, qu’il témoigne un peu vivement de son irritation – nous parlons ici d’un temps où le syndicalisme n’avait pas encore été complètement asservi aux burlesques « journées de mobilisation » où les chefferies jaunâtres des centrales dominantes le cantonnent désormais.

Au fil du temps, par conséquent, ils se sont faits cauteleux – voyez si qu’on est sociaux. Ils ont appris à se contenir et à dissimuler leurs pulsions. Mais, de loin en loin, leurs coutures craquent – c’est plus fort qu’eux –, et leur naturel revient au galop. C’est ce qui vient d’arriver à Pilliard, dont les proférations, saturées d’une ahurissante haine de classe où les classes laborieuses sont définitivement des classes dangereuses, restituent, à l’identique, les discours hygiénistes du patronat d’il y a deux siècles [^4].

Que de telles saillies puissent encore être publiquement dites devrait jeter dans les rues des foules vengeresses, mais ce n’est pas du tout ce qui se passe : il est vrai que, pendant que Jean-Marc Ayrault œuvre, comme l’a souligné le Figaro avec une très compréhensible gourmandise, à « rassurer le patronat » (en lui garantissant que la réforme des retraites sera conforme à ses vœux), le PCF est de son côté fort occupé à contourner Mélenchon pour mieux lécher les « socialistes » avant les municipales…

[^2]: Quand des « socialistes » sont mis dans l’Élysée par un électorat inconséquent, par exemple, il peut arriver qu’ils fassent illusion pendant quelques heures, et que plusieurs dizaines de personnes continuent, dans ce laps de temps, de considérer qu’ils sont de gauche. Mais force est de constater que ces naïvetés se font de plus en plus rares – et pour cause.

[^3]: http://www.acrimed.org/article1297.html 

[^4]: Merci @BarDkn.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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