Les ressorts de l’islamophobie

Deux sociologues analysent la logique médiatique de stigmatisation des musulmans.

Denis Sieffert  • 3 octobre 2013 abonné·es

Voilà un ouvrage sur l’islamophobie qui tombe dans un contexte éditorial particulier. On aurait pu craindre que la parution sur le même sujet d’un livre portant la signature d’un journaliste hypermédiatisé lui fasse de l’ombre [^2]. Cela ne semble pas le cas, et c’est tant mieux. Car l’essai d’Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed attaque le dossier sous un tout autre angle. Leur analyse des mécanismes qui ont produit dans la France des années 2000 le « problème musulman » est passionnante. Laissons de côté ce que les auteurs appellent « l’islamophobie de plume », qui relève plus d’une pathologie que d’un phénomène de masse. On se souvient des écrits ignobles d’une Oriana Fallaci ou insensés d’un Pierre-André Taguieff ( « Deux millions de musulmans, ce sont deux millions d’intégristes potentiels » ). Plus intéressante, et sans doute plus dévastatrice, est la logique médiatique de stigmatisation des musulmans. « Pourquoi les journalistes publient-ils si souvent des articles mettant en scène la “menace islamique ?”, s’interrogent les deux sociologues. Pour eux, la réponse réside dans des logiques de production de l’information qui créent un « entre-soi » médiatique dont les musulmans sont socialement exclus. Ils sont « plutôt des objets que des sujets ». Mais c’est aussi le résultat d’un postulat commercial : les musulmans, parce qu’ils appartiennent dans leur majorité aux classes populaires, seraient « indifférents » à la presse et ne constitueraient pas une cible commerciale.

Selon cette représentation, les musulmans n’achètent pas, mais ils font vendre. Les auteurs citent des exemples fameux dont, en 2006, la performance de Charlie Hebdo, qui a vendu 560 000 exemplaires de son numéro sur les caricatures de Mahomet au lieu des 45 000 habituels.

Le calcul est le même dans la classe politique. Le processus de politisation du « problème musulman » repose sur l’idée que le discours islamophobe est électoralement rentable. Les auteurs montrent aussi comment ce processus « a favorisé l’ascension politique et médiatique de certaines figures », citant l’exemple de Caroline Fourest, devenue en un rien de temps spécialiste de l’islam, chroniqueuse au Monde et à France Culture et enseignante à Sciences Po. Toutes ces représentations reposent sur une essentialisation de l’islam, considéré de façon monolithique. L’exemple vient de loin dans le passé colonial et dans le regard orientaliste des intellectuels occidentaux. Pour nous en convaincre, Hajjat et Mohammed citent l’historien Bernard Lewis, inventeur bien avant Huntington du concept de « choc des civilisations » : « Toute approche politique, historique ou universitaire des musulmans doit commencer et se terminer par le fait que les musulmans sont des musulmans. » On ne saurait faire plus réducteur.

[^2]: Nos Mal-Aimés , Claude Askolovitch, Grasset.

Idées
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