Norodom Sihanouk, roi Soleil façon khmère

Le Théâtre du Soleil recrée l’épopée du roi du Cambodge écrite par Hélène Cixous.

Anaïs Heluin  • 17 octobre 2013 abonné·es

Un parquet posé sur le plateau, un rideau orange et quelques chaises : c’est dans sa sobriété scénographique habituelle que le Théâtre du Soleil a célébré aux Francophonies en Limousin la nouvelle création d’une grande pièce de son répertoire. Avec sa large galerie de personnages, ses drames politiques et son souffle shakespearien, l’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge (1985), épopée composée par Hélène Cixous, semble faite pour se déployer sur une scène nue. Sans décontextualiser les aventures du monarque et père de l’indépendance de son pays en 1953, ce minimalisme fait du Cambodge une terre ouverte à tous les imaginaires. À toutes les rencontres et métamorphoses, aussi. Car, loin de renaître à l’identique, la pièce fleuve (huit heures, entractes compris) apparaît sous un nouveau visage. Celui de la jeune Cambodgienne San Marady, concentré d’énergie haut comme trois pommes, qui incarne Norodom Sihanouk à la place de Georges Bigot, le Sihanouk de l’époque Mnouchkine.

Aujourd’hui cometteur en scène du spectacle avec Delphine Cottu, Bigot a travaillé pendant sept ans avec une trentaine de comédiens et de musiciens en formation à l’École des arts Phare Ponleu Selpak de Battambang, ville de l’ouest du Cambodge. Ce sont eux qui, avec une énergie puisée dans une histoire sanglante, portent aujourd’hui le monarchisme sans cesse contrarié de Norodom Sihanouk de 1953 à la fin du régime khmer rouge en 1979. Accordé à la poésie épique du texte traduit pour l’occasion en langue khmère (et surtitré en français), leur jeu vif excelle à rendre sensibles les contradictions du personnage central. Autrement dit, celles d’un symbole d’un XXe siècle meurtrier, d’une humanité meurtrière.

C’est sûr, la grandeur du geste théâtral orchestré par Georges Bigot doit beaucoup au difficile parcours des artistes cambodgiens. À leur mémoire fragmentée de l’après-génocide, puis reconstituée avec les deux metteurs en scène. Mais ce n’est pas tout : leur douleur sourde, ils ont su la transcender, lui donner une portée théâtrale aussi vaste que le pan d’histoire du Cambodge auquel ils prêtent leur souffle. Résultat : un étourdissant jeu de chaises tournantes, où Sirik Matak (Chhit Chanpireak), le cousin du roi, Pol Pot (Chea Ravy saisissante de violence contenue) ou encore le général Lon Nol (Houn Bonthoeun) et bien d’autres émergent de l’ombre avant d’être avalés par le tourbillon de l’histoire.

Théâtre
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