Comprendre le drame syrien

Des spécialistes de la région analysent le conflit dans toutes ses composantes.

Denis Sieffert  • 19 décembre 2013 abonné·es

La crise syrienne a provoqué en France, et singulièrement au sein de la gauche, un débat dont l’âpreté est à la mesure, ou la démesure, d’une tragédie qui a fait des dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés. Des lectures fortement idéologisées s’affrontent. Les chronologies sont brouillées. Les causes et les effets sont inversés. L’ouvrage codirigé par François Burgat et Bruno Paoli, qui se propose de donner des « clés pour comprendre les acteurs et les défis de la crise », tombe donc à point nommé pour qui se refuse à oublier le drame syrien au prétexte qu’il n’intéresse plus guère les médias. En réunissant plusieurs auteurs, dont les approches peuvent être différentes mais à la compétence incontestable, et qui sont pour la plupart issus de l’Institut français du Proche-Orient, Burgat et Paoli remettent l’histoire à l’endroit. Ils nous montrent dès les premières pages comment Bachar al-Assad a « fabriqué » la guerre civile en imposant une lecture « confessionnelle » pour un soulèvement qui était démocratique et social. Et comment l’incroyable violence de la répression a contraint les opposants à l’autodéfense et à la militarisation. « Cela, nous dit Burgat, afin de transférer sur le terrain sécuritaire, puis sur celui de la confrontation militaire totale, une contestation [que Bachar al-Assad] savait ne pas pouvoir contenir “à la régulière” sur le terrain pacifique et politique » .

Parallèlement, Bachar a su trouver sur la scène internationale des appuis que n’avaient pas le Tunisien Ben Ali ou l’Égyptien Moubarak, tombés, eux, en quelques semaines. Damas a su « intéresser à sa survie ses sponsors étrangers, russe, iranien ou libanais », écrit Burgat. Le positionnement de la Syrie dans le conflit israélo-palestinien lui a non seulement permis de s’assurer le soutien militaire du puissant Hezbollah libanais, mais aussi de démobiliser une partie de l’opinion occidentale. Il faut lire à ce sujet l’article que consacre Nicolas Dot-Pouillard aux « trois narrations palestiniennes contradictoires du conflit ». *L’autre atout de Bachar** al-Assad, c’est la coalition toujours grandissante de ceux que Burgat appelle *« les adversaires… aux opposants du dictateur ». Autrement dit, ceux que la montée en puissance des groupes islamistes au sein de l’opposition a effrayés. Une montée en puissance à la fois réelle et fortement exagérée ou, à tout le moins, mal interprétée par les regards occidentaux. Là encore François Burgat nous propose une analyse fine de l’évolution de l’opposition. Il montre aussi – ce qui est peu connu – qu’il existe également un djihadisme et une « mobilisation sectaire religieuse » dans le camp du régime. Quoi qu’il en soit, c’est l’une des grandes victoires de Bachar al-Assad que d’avoir réussi à convaincre les opinions occidentales qu’il était un moindre mal. Cela, en dépit des horreurs qu’il continue de commettre.

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