Dominique Voynet : de guerre lasse

Dominique Voynet met un terme à vingt-cinq années de mandats électifs en renonçant à se représenter à Montreuil en 2014.

Patrick Piro  • 5 décembre 2013 abonné·es

Elle « va très bien », merci ! Défendant sa décision avec sa pugnacité habituelle, Dominique Voynet ne manque pas de communiquer son plaisir simple à goûter le soleil et les bourrasques de la Bretagne, où elle se trouvait lundi dernier. Son renoncement à solliciter sa reconduction à la mairie de Montreuil (Seine-Saint-Denis), s’il a fait l’effet d’un coup de tonnerre, « n’est ni un abandon ni une fuite, il est de nature politique », se justifie-t-elle. En 2008, alors que bien peu la donnaient gagnante face à Jean-Pierre Brard (ex-PCF), indéboulonnable depuis 1984, Dominique Voynet avait été élue sur une liste citoyenne et écologiste ralliée par quelques socialistes dissidents, et sans le soutien d’un autre parti que les Verts. « Cet événement, atypique pour une ville de plus de 100 000 habitants, n’a aucune chance de se reproduire en 2014 sans alliance politique », juge-t-elle. Ville singulière, qui vote Hollande à 76 % le 6 mai 2012, élimine la droite dès le premier tour de la municipale de 2008, et où le PS local joue les faire-valoir, miné par ses dissensions internes. « Pour être réélue, je devrais me résoudre à des compromis, à des alliances, à des prises de position qui bousculent mes valeurs et mes convictions  », écrit la maire, qui ajoute : « Je refuse de prendre à mon compte les divisions de la gauche à Montreuil, entre les pratiques de certains et la haine obstinée d’autres. » Visés : le député socialiste Razzy Hammadi, au parcours politique éclair déjà semé de plusieurs casseroles, et Jean-Pierre Brard, qui rêve de revanche depuis bientôt six ans. « Sale pute ! », lance-t-on d’un groupe de ses fidèles lors du premier conseil municipal de la nouvelle maire. « Les attaques ont été incessantes, ils voulaient sa peau », rapporte Patrick Petitjean, conseiller municipal et principal organisateur depuis vingt ans du mouvement vert et citoyen qui a permis sa victoire.

Voynet la battante a décidé, à 55 ans, de se retirer de cette vie politique-là. Celle qui a contribué à fonder les Verts en 1984, artisane de l’ancrage à gauche du parti en 1993, ministre de l’Écologie du gouvernement Jospin, sénatrice, deux fois candidate à la présidentielle, ne compte néanmoins pas disparaître du paysage. « Je trouverai bien pour la suite une manière de m’engager. » Dans son entourage, les commentaires mêlent la compréhension, l’hommage discret et les petits tacles. « Oui, la politique est dure, mais on le sait depuis longtemps, ironise Yves Cochet, écologiste historique. Je crois qu’elle a rationalisé une possible défaite en 2014. Cependant, je la défends. C’est une femme forte, courageuse, brillante, entière. » « Son geste témoigne de la difficulté que nous avons, écolos, avec la vie politicienne en France. Elle dégage une telle impression de force, je ne m’y attendais pas », confie Denis Baupin, un ex-vieux fidèle, qui rappelle pourtant qu’elle avait déjà « craqué » en 2001 à la fin de son mandat de ministre. La maire voyait se profiler pour 2014 une campagne « tout sauf Voynet ». « Je prive Brard de son seul argument », relève-t-elle. Jean-Luc Bennahmias, vice-président du MoDem et qui fut très proche d’elle, doute de l’existence d’un ressort tactique. « Je crois qu’elle veut simplement qu’on la reconnaisse comme elle est, avec son libre arbitre, son aspiration à une vie privée. » Légitime, peut-être, mais « terriblement nombriliste !, déplore Patrick Petitjean. Et catastrophique : Dominique Voynet n’a rien préparé pour la suite ». Chez ses proches montreuillois, souvent informés au dernier moment, domine la sidération. « Qui va s’occuper de la crise climatique, de la montée de l’extrême droite, etc., si nous ne sommes même pas capables de régler le problème de la violence stalinienne dans la ville ? Son départ est un aveu d’impuissance », affirme un des stratèges politiques de son mandat.

Du style Voynet, les Montreuillois retiennent souvent le manque d’empathie, voire la froideur, quand son prédécesseur affectionne le contact de rue. Il y a aussi la crainte de prêter le flanc aux influences, dans une ville où la maire a souvent considéré le réseau associatif, que choyait Brard, comme un adversaire potentiel. Très contestée dans l’affaire du cinéma le Méliès [^2], « elle a mal géré son équipe, personnalisant beaucoup les relations », regrette Patrick Petitjean. « Pour autant, elle ne gouvernait pas seule, elle déléguait sa confiance sur des décisions importantes, signale Fabienne Vansteenkiste, conseillère municipale. Et le choix, en 2010, d’écarter les adjoints socialistes entrés en opposition incombe à son groupe politique. Elle y était opposée. On ne peut pas lui faire endosser l’échec de l’élargissement de son socle électoral. » Ses proches ont vite décidé de reprendre le flambeau, car il existe un bilan Voynet dont il faudra se prévaloir quand l’émoi de sa décision sera retombé. « Urbanisme, questions sociales, aménagement, écologie urbaine, écoles, logement, soutien d’initiatives populaires… La ville a changé, depuis six ans », insiste Patrick Petitjean. Comme en 2008, une liste écologiste et citoyenne se prépare à l’élection municipale. Sans le nom de Dominique Voynet… qui semble cependant vouloir s’impliquer pour la soutenir. Dans l’ombre ou en pleine lumière ?

[^2]: Voir Politis n° 1241.

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