Saint-Denis à tout prix, les socialistes à l’offensive

La bataille de Saint-Denis aura bien lieu. Comment le PS compte-t-il conquérir la dernière commune communiste de plus de 100 000 habitants ? Récit des stratégies à l’œuvre.

Michel Soudais  et  Pauline Graulle  • 5 décembre 2013 abonné·es

Entre Pierre Laurent et Marie-Pierre Vieu, Didier Paillard, ceint de son écharpe tricolore, était dimanche sur le pavé parisien en tête de la « Marche pour la révolution fiscale ». Bien en vue des caméras et des photographes. Que le PCF, qui pouvait désigner dix personnalités pour le carré de tête de cette manifestation, ait choisi de mettre en avant le discret maire de Saint-Denis est inédit. Et essentiellement motivé par la volonté de conserver la dernière commune communiste de plus de 100 000 habitants. La troisième ville d’Île-de-France est en effet convoitée par le PS, qui y a investi un jeune loup, Mathieu Hanotin (voir portrait en p. 19). Dans ce duel à gauche qui s’annonce impitoyable, Didier Paillard ne paraît pas le mieux armé. Dionysien de naissance et pur produit du PCF, cet ancien ouvrier de l’industrie chimique, devenu conseiller municipal en 1977 puis adjoint à la jeunesse en 1983, a hérité en 2004 du poste de maire, quand Patrick Braouezec, aux commandes de la mairie depuis 1991, a pris la présidence de la communauté d’agglomération Plaine Commune. Il sera réélu sans triomphe en 2008 dans une triangulaire PCF-PS-UMP.

Son challenger socialiste d’alors, Georges Sali, qui se présente une nouvelle fois mais sous l’étiquette du Parti socialiste de gauche (PSG), une formation qu’il a créée après avoir été « exécuté »  (sic) par Claude Bartolone, observe d’un œil avisé le match PCF-PS. Qu’il compte bien perturber en se maintenant face à Hanotin. Élu en 1989 au conseil municipal, où il a été adjoint, il date de 2008 la rupture de l’union de la gauche qui prévalait à Saint-Denis depuis 1965, quand Didier Paillard a refusé entre les deux tours une fusion acceptable par le PS : « Il s’est isolé, ce qui explique sa faiblesse aujourd’hui. » Si sept socialistes figuraient sur la liste de Didier Paillard dès le premier tour, c’était, selon Sali, en raison d’un « deal » conclu en sous-main entre Claude Bartolone, le vrai patron des socialistes du 93, et les communistes dyonisiens : «  Vous me faites élire mon gamin, Mathieu Hanotin, en échange de quoi je deviens président du conseil général et je vous aide à virer Sali et à réintégrer le PS dans la majorité.   » Le résultat du scrutin a mis fin au contrat. « Quand Barto, le grand fauve des Lilas, a vu le score du PS  [près de 31 %, contre 51 % pour le PCF et ses alliés, NDLR], il s’est dit que la ville était prenable. » Aujourd’hui, à Saint-Denis, où François Hollande a obtenu 78 % des voix à la présidentielle, le PS fait campagne sur la sécurité et la propreté, tandis que le PCF entend mener la bataille autour de l’idée de la « construction solidaire » de la ville. « On a un très bon dialogue avec les Verts et le PRG, le Front de gauche est derrière moi dans sa diversité », affirme Didier Paillard. Qui se « reconnaît » dans la lettre de renoncement de Dominique Voynet. Le désistement surprise de la maire de Montreuil, deuxième ville du département, ouvre un boulevard au socialiste Razzy Hammadi, « ce qui donne raison au PS de partir à l’assaut à Saint-Denis », déplore Didier Paillard. Ce désistement aiguise un peu plus les appétits de socialistes. Car si la bataille de Saint-Denis attire les regards, le PS est à l’offensive dans cinq des neuf villes du département qu’administre encore le PCF. À Saint-Ouen (47 000 habitants), Karim Bouamrane, épaulé par le président du groupe des députés socialistes, Bruno Le Roux, à qui est réservé « un rôle prépondérant dans la future équipe municipale », rêve de prendre les rênes d’une ville qu’il décrit comme « riche » et dotée d’ « un énorme potentiel ». Le PS présente également une liste à Villetaneuse (12 500 habitants) ; à La Courneuve (38 000 habitants), c’est le président du conseil général, Stéphane Troussel, qui s’y colle. Toutes ces villes font partie de Plaine Commune, une agglomération de 440 000 âmes. À l’est de Paris, le socialiste Tony Di Martino repart à l’assaut de Bagnolet (17 000 habitants), dernière enclave communiste entre la circonscription de Claude Bartolone et Montreuil.

Face à cette offensive, Pierre Laurent, patron du PCF, fustige la « tentation hégémonique » du PS. Mais c’est encore un UMP, Jean-Michel Bluteau, conseiller général, qui a la dent la plus dure en parlant carrément de « cannibalisme ». « Personne n’est propriétaire d’une ville », explique Stéphane Troussel, qui soutient que son parti ne mène « pas un assaut »  : « La Seine-Saint-Denis a changé, les rapports politiques aussi. Le temps où le PCF était ultra-dominant est révolu. » Michel Laurent, ancien secrétaire fédéral du PCF de 1997 à 2004, admet n’avoir pas pris la mesure de ces évolutions : « On se croyait un peu trop tranquilles. Dans cette période de crise qui a débuté dans les années 1980, notre politique de grandes réalisations culturelles ou sportives ne suffisait plus. Et puis la gestion sociale et solidaire d’une ville est toujours plus compliquée que de se laisser porter par les lois du marché et la dynamisation capitaliste des territoires. » Pour justifier leur candidature séparée, tous les candidats du PS font campagne sur la sécurité et la propreté, mais, pour les communistes, les motivations de leurs concurrents sont tout autres. Le 93 est « le plus beau moteur de la région parisienne », estime Didier Paillard. Entre Paris et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, il a attiré, depuis quelques années, une quinzaine de grands groupes : Body Shop, Nouvelles Frontières, Cegelec… La BNP Paribas, bien implantée à Pantin, est devenue le premier employeur privé du département. Quant à Veolia, elle est en quête d’une ville séquano-dyonisienne pour accueillir ses 4 000 salariés en 2014… Sur les friches d’une désindustrialisation qui a éradiqué 30 000 emplois, des studios de cinéma ont poussé comme des champignons. Autant de terrains encore bon marché, estimés 30 % moins cher qu’à Paris, qui font saliver les promoteurs. Tenus à bonne distance par les communistes, ils ne le seraient plus avec le PS, explique Georges Sali, convaincu que « Barto veut mener une politique de “levalloisation” sur le territoire ». « Le dessein du PS, c’est la gentrification de Saint-Denis, renchérit Patrick Braouezec, pas de se mettre au service de l’intérêt des populations les plus précaires ou même des couches moyennes. » *À trois mois des municipales,** l’issue du bras de fer PCF-PS est incertaine. *« Rien n’est jamais écrit », se rassure Patrick Braouezec. « L’histoire n’est pas totalement écrite », reconnaît également Stéphane Troussel, se disant « ouvert pour trouver un compromis ». Bien que le PS soit majoritaire à tous les scrutins, il peut ne pas l’emporter sur un scrutin municipal, et le président du conseil général le sait. Certaines listes PS annoncées pourraient n’être que des leurres pour décrocher un plus grand nombre de sièges. Mais s’il est une certitude, c’est qu’à Saint-Denis la bataille aura lieu.

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