Emmanuel Kreis : « Soral, un antisémitisme drumontien »

Les thèses conspirationnistes d’Alain Soral s’inscrivent dans une longue histoire française, explique l’historien Emmanuel Kreis.

Pauline Graulle  • 9 janvier 2014 abonné·es

Un supposé « complot juif » est à l’origine de tous les délires d’Alain Soral. Selon Emmanuel Kreis, ce conspirationnisme se nourrit des failles réelles du système et s’appuie sur les angoisses des gens. Pour le combattre, mieux vaudrait lutter contre les dysfonctionnements de la société.

En quoi le discours d’Alain Soral peut-il être qualifié de « conspirationniste » ?

Emmanuel Kreis : Parce que, pour Alain Soral, tous les problèmes sont explicables par une cause unique : le complot juif. Le conspirationnisme se définit par le fait que les complots imaginés dépassent l’entendement, tant au niveau de l’espace – ils sont mondiaux, parfois même extraterrestres – que du temps – le complot est ourdi de génération en génération. Il a pour autre particularité qu’il ne laisse pas de place au hasard – le but des acteurs se réalise toujours – et qu’il coïncide avec le recul de l’emprise du religieux dans les sociétés contemporaines. En France, le premier complot juif est imaginé en 1869. Ce type de conspirationnisme va se matérialiser vraiment après la parution, en 1886, de l’ouvrage d’Édouard Drumont la France juive. La pensée de Soral s’inscrit dans la droite ligne de cette figure majeure de l’antisémitisme français. Le côté ordurier, articulé autour des potins mondains et des histoires de gros sous, que l’on trouve dans le discours de Soral est typique d’un antisémitisme drumontien.

Peut-on expliquer le « succès » de Soral par le fait que la société a « besoin » de conspirationnisme?

Le conspirationnisme permet de donner du sens et de répondre aux angoisses dans des périodes de l’histoire où les repères sont ébranlés – c’est le cas aujourd’hui avec la mondialisation, la crise économique, etc. En France, les premiers textes conspirationnistes apparaissent dans les milieux catholiques contre-révolutionnaires quand le clergé tombe et que Louis XVI, le représentant de Dieu, est décapité. Le conspirationnisme a le vent en poupe pendant l’ère industrielle – qui s’accompagne d’une explosion de la presse comparable à celle d’Internet aujourd’hui. En recul après 1945, il renaît dans les années 1970, profitant de l’intérêt pour l’« histoire mystérieuse » où se mêlent extraterrestres, chevaliers du Temple et île de Pâques. Les attentats du 11 Septembre, sur fond d’écroulement d’un système économique mondialisé, lui offrent une nouvelle caisse de résonance. Il faut dire que – ô bonheur pour les conspirationnistes ! – il y a de vraies zones d’ombre autour des attentats du 11 Septembre…

Qui laissent donc la place à toutes les élucubrations…

C’est ce que fait Alain Soral : il se sert de vraies failles. Dans ses vidéos, il commence par pointer des problèmes concrets : les incohérences du rapport officiel sur le 11 Septembre, l’engagement militaire de la France en Libye, le soutien inconditionnel d’organisations communautaires juives à Israël… Puis, de ce constat rationnel, il nous entraîne vers ses élucubrations autour des Juifs. Son discours conspirationniste a quelque chose de rassurant car il est répétitif, ronronnant. C’est aussi pour cela qu’il rencontre son public. Un public qui peut passer de Jacques Cheminade à Égalité & Réconciliation, et que Soral attire davantage parce qu’il maîtrise les codes de la communication médiatique que par la puissance de sa réflexion !

Comment lutte-t-on contre le conspirationnisme ?

En changeant les représentations. Par exemple, en reconnaissant que, malgré la légitime revendication de transparence propre aux sociétés démocratiques, l’exercice du pouvoir implique certaines parts d’ombre pour fonctionner. Mais, dans le fond, pour lutter contre Soral, qui n’est qu’un symptôme des dysfonctionnements de notre société, il vaudrait mieux lutter contre ses causes profondes (le chômage, la crise, la misère intellectuelle…) que de se lancer dans des polémiques souvent contre-productives.

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